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souliers, des habits. Les femmes s’empressaient, cherchant à la consoler. Toute la commune était là réunie; hommes, femmes, enfans, contemplaient avec horreur les ravages du feu, mais personne ne parlait haut; on n’entendait que des gémissemens et des soupirs. Le petit Hryciou, accroupi sur le sol, fouillait la cendre chaude. Tout à coup Théodosie se leva, et, regardant autour d’elle, prit un paquet de vêtemens d’où elle tira avec un douloureux sourire une jupe de laine, puis elle fit passer ses bras nus dans les manches d’une vieille veste sale, repoussa les cheveux qui lui couvraient le visage, les lia en un gros nœud et alla se laver au ruisseau la figure et les mains. Ceci fait, elle remonta lentement le sentier, longeant les haies comme pour échapper à la curiosité de la foule.

Une croix se trouvait au bord du chemin. Théodosie à genoux pria longtemps. Je l’observais avec une pitié profonde; elle s’en aperçut. — Vous pouvez me faire l’aumône désormais, si vous voulez, dit-elle en tendant la main, je suis devenue mendiante...

— Tout peut encore se réparer, interrompit le vieux Jaremus.

— Le moyen? demanda-t-elle d’un air indifférent et fatigué.

— Les voisins vous aideront, nous tous, toute la commune. Ne nous aideriez-vous pas, si nous étions dans la peine?

— Sans doute.

— Eh bien donc, courage!

Elle secoua la tête avec une sombre résolution. — Voilà tout ce que vous avez à me dire? Le malfaiteur restera-t-il impuni? Attendrons-nous l’intervention des juges ou même celle de Dieu, qui est au ciel?

— Non, cela ne doit pas être ! s’écria soudain Hryciou, qui assistait fort agité à l’entretien ; mais il. recula vite, effrayé de ses propres paroles.

— Que voulez-vous donc, Théodosie? demanda le vieillard en ramassant par terre un charbon auquel il alluma sa pipe.

— Ce que je veux, dit brusquement la veuve, je veux que nous nous assemblions pour juger cet incendiaire, ce voleur, et dès aujourd’hui, sur ce lieu même!

— Comment? qu’est-ce qu’elle dit? se demanda-t-on dans la foule.

— Elle demande que nous mettions Cyrille en jugement.-

— Cyrille et les autres, Stawrowski, Lapkowitch, Kostka...

— Jugement pour toute la bande, pour ces coquins, ces voleurs de chevaux! s’écria le jeune Hryciou, les bras tendus vers le ciel et roulant les yeux comme un visionnaire.

— Dieu a parlé par la bouche de cet enfant, dit Théodosie. Je demande que la commune juge.

— Moi aussi ! ajouta Akenty Prow, on m’a réduit à la mendicité.

— Moi aussi! moi aussi ! firent cent voix de tous côtés.