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— Dieu, peut-être.

Il se mit à rire en lançant au ciel un regard de haine, et tandis qu’éclatait ce rire diabolique, Cyrille avait dans toute sa personne je ne sais quoi de terrible.

— Qu’es-tu donc, lui dis-je après un nouveau silence, qu’es-tu, sinon un coquin ?

— Soit ! vous pouvez me nommer ainsi, dit-il, abattu tout à coup, j’aurais sauté à la gorge de tout autre que vous sur un pareil mot...

— Il couvrit son visage de ses mains. — Mais le coquin a encore un cœur et peut aimer comme n’aimera jamais un de ces vertueux garçons qu’on rencontre par centaines;... c’est là le malheur,... tu es gueux, pourquoi t’avises-tu d’avoir un cœur, imbécile !

— Tiens, Cyrille, lui dis-je ému, je t’ai deviné tout de suite... Tu n’es pas né sous une étoile heureuse, et la vie a fait de toi...

— Un coquin, ne vous gênez pas pour le répéter.

— Mais au fond ton cœur est resté bon...

— Autrefois, commença Cyrille d’une voix adoucie, presque enfantine, ce cœur-là était toujours prêt à tomber aux pieds des gens, on devait nécessairement marcher dessus. Pourtant, comme j’étais jeune, comme je n’étais pas laid, je gagnai l’amour d’une belle fille, et moi... je me sentais ivre quand je la voyais, et transporté d’une joie qui ressemblait à un tourment. Nous nous aimions en tout honneur, mais elle était riche, tandis que moi... moi, j’étais pauvre. Son père lui dit : — Veux-tu donc d’un mendiant qui te mangera ton bien? — Il avait tort, car je n’étais dans ce temps-là ni joueur, ni ivrogne. Un autre vint cependant. Je le haïssais depuis longtemps déjà, ce Maxime, je le haïssais pour le gros héritage qu’il tenait de famille et parce qu’il était vaniteux, qu’il avait toujours de nouvelles bottes, mais je l’abhorrai tout à fait lorsqu’il... lorsque tous les deux, lui et elle, marchèrent sur mon cœur comme sur un morceau de bois, lorsqu’elle devint sa femme! Ce fut alors que j’allai dans les mines. A mon retour, — une année environ après la noce, — le hasard me conduit, pour notre malheur à tous, devant sa maison, juste au moment... Ah! cela ne peut pas se dire! — Cyrille hésita, des larmes lui vinrent dans la voix, dans les yeux, et il laissa retomber ses bras le long de son corps, sa tête sur sa poitrine, comme s’il eût été sous l’influence d’une lassitude profonde. — Cela ne peut pas s’exprimer, reprit-il enfin. Auprès de la maison se trouvait un jardin entouré de haies vives, et dans le jardin il y avait un berceau de chèvrefeuille. Tout était plein de fleurs, de soleil et de parfums. Je regardai par-dessus la haie;... elle était assise là, sous le berceau, que Dieu me pardonne ! semblable à la Sainte-Mère avec l’Enfant-Jésus. Elle était devenue plus forte et plus belle, son corset était ouvert, sa chemise aussi, et l’enfant,