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sifflait. La Juive revint me verser le tokai qui brillait comme de l’ambre, les paysans dégustèrent leur breuvage empoisonné, mais personne ne dit mot; on entendait sur les carreaux sales bourdonner la dernière mouche de l’été. En ce moment rentra le cabaretier, ses cheveux luisans de graisse bouclés de chaque côté d’un visage de cire jaune, vêtu d’un caftan noir, les bottes couvertes de poussière; silencieusement il s’assit sur le banc près du poêle et regarda les paysans avec une malice insolente qui se retrouvait dans sa voix lorsqu’il leur dit enfin : — Voulez-vous apprendre quelque chose de nouveau?

— Pourquoi pas? répondit Akenty Prow.

— Je sais où sont les chevaux.

— Quels chevaux? demanda Hryn Jaremus d’un air de profonde indifférence.

— Les quatre chevaux et le poulain volés dernièrement dans l’herbage.

— Et où sont-ils? fit Akenty avec précipitation.

— Où seraient-ils, interrompit le rusé Jaremus, sinon par-delà la frontière, vendus en Russie, ton cheval blanc avec eux? Laisse-toi entortiller par les Juifs !

— Qu’est-ce que tu dis? s’écria le cabaretier; je n’entortille personne. J’ai vu les chevaux, j’ai vu l’homme qui les a vendus en Russie.

— Oui, tu as vu les chevaux, répliqua le vieux paysan, et tu as vu l’homme, tu le vois même tous les jours, chaque fois que tu t’en vas à l’eau, selon l’ordre de ton prophète, laver ton visage maudit.

— Qu’est-ce que cela signifie? demanda le Juif, dont les yeux se rétrécirent.

— Cela signifie, répondit Hryn Jaremus en s’approchant de lui et en posant ses deux mains sur ses genoux sans le quitter du regard, cela signifie que je connais le receleur qui a aidé au vol. Il n’y a qu’un seul homme au village qui possède une peau de loup, c’est Stawrowski le Pacha. Stawrowski a volé les chevaux avec Cyrille et...

— Eh bien ! et le complice qui a vendu les bêtes ? interrompit le Juif avec un calme provoquant.

— C’est le même qui a vendu ma vache au marché de Kolomea, et aussi le bois de Larion et le blé volé à...

— Eh bien ! qui est-ce ? répéta le Juif sans se déconcerter.

— Tu vas le voir, dit Jaremus. — Il le saisit au collet et l’entraîna vers un morceau de miroir cassé qui pendait au mur. — Là, le vois-tu maintenant? Cette mine de fripon te plaît-elle?

— Lâche-moi, criait le Juif en se débattant.

— Soit! pour aujourd’hui. Je ne te lâcherai pas peut-être une autre fois.