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au bout de quelques heures prendra la teinte du vermillon, enfin endosser les robes superposées et échancrées sur la gorge et s’enfermer dans l’obi, cette ceinture de soie large de 40 centimètres, longue de 2 toises, qu’on enroule autour des reins et qu’on noue par derrière en forme de gigantesque rosette. Il a fallu répéter tous ces soins pour les enfans, prendre un léger repas, faire une provision de friandises, enfiler l’incommode chaussure des guetta, puis prier très poliment « monsieur le traîneur de djinrikichia de vous conduire dans son véhicule jusqu’à la porte du théâtre, si toutefois cela ne lui donne pas trop de peine. » Enfin on arrive, on va prendre son billet, louer des coussins, acheter un programme illustré dans une maison de thé voisine, qui joue le rôle de nos bureaux de location; on s’installe dans sa loge, et de toutes ces fatigues il ne reste pas trace sur les visages. On y voit s’épanouir au contraire cette naïve ardeur de plaisir, cette inébranlable résolution de s’amuser dont les hommes et les peuples gardent le secret tant qu’ils sont enfans.

La salle comprend un rez-de-chaussée à quelques degrés du sol et un étage. C’est un grand quadrilatère éclairé par les fenêtres du haut, dont la scène, dissimulée par un rideau de toile, forme un côté; tout le rez-de-chaussée est divisé en petits carrés réguliers offrant l’aspect d’un damier et que, faute d’autre terme plus juste, nous appellerons des loges. L’étage supérieur contient les loges de pourtour, les plus recherchées, et un amphithéâtre où sont relégués les spectateurs les moins huppés. Au centre s’élève une petite estrade d’où une sorte d’inspecteur veille à l’ordre général et embrasse d’un coup d’œil toute la salle. Sur la gauche, dans une loge d’avant-scène, se tiennent le chœur et l’orchestre, composé de tambours, de flûtes et de guitares à trois cordes. Les musiciens, vêtus d’habits sacerdotaux en souvenir des premiers ballets consacrés aux dieux, ne cessent guère de jouer, soit pour égayer le public pendant les entr’actes, soit pour accompagner le récitatif pendant la pièce. Ce qui caractérise bien la placidité japonaise, c’est que 1,500 personnes peuvent écouter ce glapissement pendant douze heures sans qu’aucune donne le moindre signe de trouble mental. De chaque côté de la scène partent deux longues et étroites plates-formes planchéiées qui, à travers les loges du rez-de-chaussée et au même niveau, gagnent le fond de la salle. C’est le plus souvent par là que les acteurs font leur entrée, juste sous le nez des spectateurs. Cette disposition singulière permet même quelquefois de mener trois actions parallèlement, l’une à gauche, l’autre à droite de la salle, la principale sur la scène proprement dite. Elle donne de plus à l’artiste le temps de nous faire connaître, avant d’entrer en scène, l’état de son âme par une pantomime expressive. Les loges ne sont séparées entre elles que par une petite cloison de