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Vladimir est le centre de l’épopée russe, un commun rendez-vous pour les héros accourus de toutes les extrémités de la Russie, — pour Dobryna de Riazan, pour Ilia de Mourom, pour Stavre de Tchernigof, pour Diouk de Galitch, pour Soloveï des pays d’outre-mer.

Les chroniques racontent que les guerriers de Vladimir se plaignirent un jour qu’on les servit dans de la vaisselle de bois. Il leur fit donner des couverts d’or et d’argent, disant « qu’avec une brave droujina on pouvait acquérir l’or et l’argent, mais qu’avec de l’or et de l’argent on ne pouvait acquérir une brave droujina. » Les bylines lui prêtent un propos tout semblable. Un de ses guerriers, au lieu de rapporter des richesses après une expédition, n’en ramène qu’une belle femme. Le Beau-Soleil l’en félicite et dit : « Dans notre empire de la sainte Russie, semez une semence de héros, voilà qui est bien plus précieux que l’or et l’argent. » — Saint Féodose le Petcherski s’affligeait de voir à la table de Sviatoslaf (un des successeurs de saint Vladimir) des joueurs de rebec, des musiciens et des skomorokiy sorte de jongleurs semblables à ceux d’Occident. Or la cour du Beau-Soleil est constamment fréquentée par ces artistes. D’ailleurs, comme l’Achille d’Homère, comme le Taillefer français, comme le Volker des Niebelungen, les héros russes savent chanter et combattre. Le roi de mer Soloveï ensorcelle les femmes de sa viole magique; Stavre est un joueur de gouzzla fameux; Dobryna paraît à la noce de sa femme déguisé en jongleur. — Saint Vladimir, suivant les chroniques, envoie des messagers en Khazarie, à Constantinople, aux pays latins, pour étudier les, mœurs et la religion de tous ces peuples. Le Beau-Soleil, dans les bylines, propose sans cesse à ses bogatyrs des missions dans toutes les parties du monde. — Le Vladimir de Nestor, comme celui des chansons, assiste à des combats singuliers entre héros russes et géans barbares. Le récit de la chronique sur la bataille de Troubège (en 993) est semé de traits épiques qui semblent empruntés aux poèmes. Un colosse petchenègue demande un champion; comme dans nombre de bylines, pas un héros n’ose se présenter; un vieillard, — comme le Danila des cantilènes, — présente alors son jeune fils, que depuis son enfance personne n’a pu terrasser et qui de ses mains désarmées peut déchirer un buffle, etc. — Le Vladimir de la légende fait prendre de force chez le roi de Lithuanie sa future épouse Apraxie; mais n’est-ce pas dans le sac de Polotzk que celui de l’histoire enlève par le droit de la guerre son épouse Rognéda? Celui des chroniques est souvent convoiteux de l’épouse d’autrui; mais celui des rhapsodes populaires envoie à une mort certaine le héros Lovtchanine pour lui prendre sa femme. Les poèmes nous présentent un Vladimir toujours avide d’argent, comme le furent en effet tous les princes varègues : Igor, aïeul de saint Vladimir, fut assassiné par les Drévlianes qu’il voulait