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communes, sur des relations naturelles d’intérêts et de sympathies. Que n’a-t-on pas fait depuis quelques années, et que ne fait-on pas encore parfois pour susciter des ombrages entre la France et l’Italie, pour aigrir les rapports des deux nations en cherchant à leur souffler la défiance et l’hostilité ? On n’a rien négligé pour les diviser, et il n’a point tenu aux sectaires des deux côtés des Alpes que des incidens sans portée ne vinssent allumer des conflits. Le sentiment de l’intérêt commun a été plus fort que tout, il a dominé les inspirations de la haine, il a pénétré dans les conseils des gouvernemens, et, entre les deux diplomaties comme entre les deux nations, la cordialité est maintenant complète. Il y a deux mois, c’était un amiral français qui, dans une fête publique à Cagliari, portait un toast au roi Victor-Emmanuel pour l’anniversaire du statut libéral de l’Italie. La semaine dernière, c’est une fête toute poétique qui est devenue l’occasion nouvelle d’un rapprochement spontané et plein d’effusion. Le même jour, Padoue et Arqua, au-delà des Alpes, Avignon et Vaucluse en France, célébraient le centenaire de Pétrarque, et c’est le ministre du roi Victor-Emmanuel, c’est M. Nigra qui s’est chargé de représenter l’Italie aux fêtes d’Avignon.

Ainsi le poète d’autrefois, Italien par la naissance, Français par un immortel amour, vient sceller l’alliance de ses deux patries, et c’est dans l’ancienne ville des papes que le ministre du roi qui est maintenant à Rome, l’ambassadeur de l’Italie renouvelée, est allé assister à ces fêtes présidées par une ombre gracieuse. M. Nigra a reçu des autorités d’Avignon, de la population tout entière, l’accueil qu’il devait recevoir, et dans un discours de la plus pure langue française l’habile diplomate, qui est en même temps un poète et un érudit plein de goût, a montré qu’il ne représentait pas seulement un gouvernement auprès d’un gouvernement, qu’il était aussi le représentant de la bonne grâce, de l’esprit et de l’éloquence de l’Italie auprès de l’esprit français. Une fois de plus il a rendu témoignage de ses sentimens par la délicatesse avec laquelle il a rappelé ce que la France a fait pour l’Italie, C’est la meilleure diplomatie pratiquée à l’abri du poétique nom de Pétrarque et faite pour retentir dans les deux pays. Qu’on laisse donc les peuples à eux-mêmes au lieu de chercher à égarer leurs instincts par des fanatismes de parti ou de secte : ils sauront trouver sans efforts leurs amis naturels, leurs vrais alliés, comme aussi ils savent rendre justice à ceux qui les servent dans leurs intérêts les plus élevés.

ch. de mazade.




Le directeur-gérant, C. Buloz.