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Germains, à la fois cultivateurs et soldats, limitanci milites. Bien plus, dans presque toutes les parties et jusqu’aux extrémités occidentales de l’empire, figurent des groupes barbares, ces Laeti, ces Gentiles, engagés pour cultiver les terres désertes et pour les défendre. Ajoutez d’autres groupes encore, souvent adjoints, sous le nom de fédérés, à ce qui reste des légions, et dont les chefs arriveront, par leurs services signalés ou par leurs audacieuses usurpations, à des alliances impériales et à la toute-puissance dans l’état. Ce sera un fédéré, cet Alaric, roi des Goths, qui ne connaîtra d’abord d’autre vœu que de servir l’empire romain et de parvenir aux fonctions de maître des milices, au titre de patrice, au rang de consul peut-être. C’est, dans les Nouveaux récits d’Amédée Thierry, un remarquable morceau d’histoire finement observée et décrite que les pages où il a pas à pas suivi quel prestige et quelles ambitions, puis quelle convoitise, quelle tentation irrésistible, quelle furie de profanation à ses propres yeux sacrilège, quelles voix mystérieuses enfin ont entraîné de degré en degré le puissant chef barbare. Il eût été jusqu’au bout un fidèle allié, au lieu d’être le premier violateur de Rome, si l’empire eût conservé jusqu’alors assez de force et de sagesse pour mettre à profit de tels services. En face de lui était ce Stilicon, autre type du barbare établi dans l’empire, épris de la majesté romaine jusqu’à se dévouer à la venger et à la défendre. Qu’on relise dans le même volume d’Amédée Thierry ce qui concerne ce ministre, et l’on sera étonné de pénétrer à la suite de l’historien, grâce aux lumières que projette son étude morale, vers certaines vues d’une période aussi complexe, qu’on n’avait pas soupçonnées. Cela est peu de chose encore en comparaison de l’infinie variété de caractères et de situations qu’il a notées, chemin faisant, à travers ces temps que pénètre la barbarie. Veut-on observer avec lui quelles diverses conditions religieuses offrait l’invasion silencieuse et lente, voici, à la tête des Goths, le célèbre Ulphilas; élevé dans Constantinople, prêtre et plus tard évêque, il a converti son peuple à l’arianisme en s’aidant de sa fameuse traduction de la Bible. Une fois convertis, il a obtenu de les établir dans une province riveraine du Danube, où il est devenu leur chef politique et religieux. A côté d’Ulphilas, quelle étrange figure que cet autre évêque goth dont nous parlent les historiens de l’église orientale ! Théotime a pour diocèse la Petite-Scythie, c’est-à-dire le pays sauvage, à peu près inconnu des Romains, qui confine avec les régions demi-désertes du Bas-Danube. Vêtu d’un costume demi-barbare, laissant flotter sur sa robe épiscopale l’épaisse chevelure des Goths, il va recruter ses ouailles dans les marchés., et attire ses néophytes à de grands festins où il les catéchise. De retour dans sa solitude, il déploie les rouleaux de sa bibliothèque, et s’exalte en lisant Origène.