Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/711

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui déshonorent l’Italie. Arcadius, de son côté, inaugure en sultan inerte la série des despotes de Byzance. Il déteste son préfet du prétoire, le Gaulois Rufin ; mais celui-ci le domine par la peur. Rufin veut, lui aussi, comme Stilicon, devenir beau-père de l’empereur; il compte ensuite gagner les soldats, se faire associer à l’empire, et faire disparaître quand il le voudra l’ombre qui lui fait obstacle. Il puise cette audace dans un esprit délié, opiniâtre, souple, libre de tout scrupule, dans un talent d’intrigue auquel viennent en aide les dons naturels, dans une ambition sans frein. Déjà il a obtenu à force d’instances non pas que l’indolent et insensible Arcadius soit épris de sa fille, mais, de guerre lasse, qu’il promette de l’épouser; il croit toucher au but de ses désirs quand une absence temporaire vient le livrer sans défense à des pièges cachés. Un troisième rival, Eutrope, chef des eunuques et chambellan, se tient aux aguets. Marier l’empereur, l’asservir par une femme, c’est aussi l’objet de ses basses menées; il y réussit, et met sur le trône une fille barbare, la fière Eudoxie, qui va devenir la vraie dominatrice de l’empire.

Cette triple scène : le grand Théodose à son lit de mort, obsédé par les obscures intrigues de la femme de Stilicon, — Honorius, son fils aîné, hydropique, impuissant, meurtrier du courageux Vandale qui seul méditait encore de sauver l’empire, heureux de soigner sa basse-cour ou de faire combattre ses léopards loin de Rome, dans ses nouvelles résidences de Milan ou de Ravenne, — Arcadius, esclave du Gaulois Rufin, puis de l’eunuque Eutrope, puis de sa femme Eudoxie, et n’échappant à ces jougs honteux que par des perfidies et des meurtres, — voilà la tragédie de la décadence, envahissant l’Occident et l’Orient, mais identifiée surtout avec le byzantinisme. Amédée Thierry déroule à nos yeux ce drame sinistre avec un luxe surprenant de détails qui fait revivre ces cadavres ensevelis. Arcadius, Sérène, Rufin, Eutrope, la fière Eudoxie, ces pâles fantômes redeviennent familiers au lecteur après que l’historien les a évoqués par une sorte d’art magique du fond de l’obscure nécropole où personne avant lui ne les avait distingués parmi tant d’ombres confuses.

Le troisième fait général qui domine cette grande époque du IVe et du Ve siècle, et qui contribue à lui donner son vrai sens, c’est, avons-nous dit, après le triomphe longtemps débattu du christianisme et la profonde décadence de l’empire, l’invasion des barbares. Amédée Thierry a su la caractériser et la dépeindre avec des couleurs vraiment originales. Considérant d’abord le grand mouvement de l’invasion dans son plus vaste ensemble, et ne le séparant pas des causes qui l’ont déterminé, il a consacré jusqu’à deux volumes à l’histoire d’Attila et de ses successeurs. C’est en effet le déplacement