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des chroniqueurs et des hagiographes, qui ne visent qu’à l’accumulation des miracles, et ne préparent qu’à leur insu et comme malgré eux des matériaux pour l’histoire; mais on était trop exclusivement préoccupé de faire servir chaque récit à l’édification : on eût craint d’être irrévérencieux en tenant compte des détails familiers où se peignent, avec la farouche énergie et la violence, l’ardeur et la sincérité des premiers siècles. Bossuet, écrivant le panégyrique de saint François d’Assise, se gardera bien de raconter l’épisode trop simple à son gré du loup de Gubbio. Il aimera mieux, au risque d’enlever quelque chose à l’originalité du saint qu’il veut célébrer, comprendre et résumer sa vie dans une de ces maximes générales qui doivent servir à l’enseignement chrétien : la carrière de saint François d’Assise lui deviendra un texte pour exalter « la pauvreté selon l’Évangile. » Prononçant le panégyrique de saint François de Sales, il ne mêlera pas à la majesté de sa propre exposition des citations nombreuses d’un style tel que celui du célèbre évêque de Genève, si pittoresque et si tendre. A la timidité de Tillemont, on peut juger qu’une partie des scrupules qui pesaient sur l’orateur de la chaire enveloppaient aussi l’historien. C’est que, en dépit de sa foi, encore à certains égards intacte et sereine, le XVIIe siècle se sentait toutefois embarrassé devant la légende ; il n’en accueillait plus la candeur naïve et il n’en devinait pas encore toute la portée historique. Notre temps a été plus hardi; parmi nos contemporains morts d’hier, il est des noms célèbres qui prouvent que, parmi nous, la chaire même et la littérature chrétiennes se sont donné de plus grandes libertés et y ont puisé de nouveaux et puissans effets.

Le foyer de la vie, au IVe et au Ve siècle, était donc transporté dans l’église et abandonnait l’état. Ici tout semblait se démembrer et mourir en de violentes convulsions si l’on regarde à l’occident romain, dans l’excès de la décrépitude et de la torpeur, si l’on regarde à l’orient. Le volume d’Amédée Thierry intitulé Récits de l’histoire romaine au cinquième siècle, Derniers temps de l’empire d’Occident, décrit la chute de Rome impériale et l’extinction de l’autonomie italienne; le volume intitulé Nouveaux récits de l’histoire romaine aux quatrième et cinquième siècles. Trois ministres des fils de Théodose, raconte surtout les intrigues de la cour byzantine. À ce titre, ce dernier ouvrage se place à côté du Saint Jean Chrysostome pour donner une peinture singulièrement originale de ce que fut le bas-empire. C’est peut-être ici que le talent d’Amédée Thierry s’est le mieux montré dans toute son ampleur, avec son art merveilleux à grouper les détails de manière à créer la vie. Arrêtons-nous un instant à cette autre partie de son œuvre.

Nous ne sommes plus autant que naguère tentés de médire de l’empire byzantin; grâce à d’ingénieuses recherches, auxquelles il