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A vrai dire même, ses travaux précédens semblent n’avoir été qu’une préparation à cette nouvelle recherche, d’autant plus intéressante qu’elle conduit aux origines du monde moderne. Ce qu’on appelle quelquefois les basses époques, c’est-à-dire les périodes n’ayant d’autre caractère dominant que de servir de transition entre un âge et un autre, passe à tort, aux yeux de certains historiens que suit trop fidèlement l’opinion générale, pour indigne d’étude, rebutant et stérile. On aime mieux courir aux grands siècles, pendant lesquels de puissantes impulsions, individuelles ou générales, ouvrent des voies communes et imposent l’unité, où la lumière abonde, où l’esprit humain, touché de l’étincelle divine, produit les merveilles, et au-dessous des merveilles les œuvres délicates et charmantes en une telle quantité que nous avons peine aujourd’hui à les retrouver et à les compter. Les temps intermédiaires méritent de fixer aussi l’attention laborieuse de l’historien, et la récompensent par des résultats qui ont leur prix. Ce sont des époques noyées dans l’ombre; cependant sous cette ombre on voit se défaire et se refaire la trame secrète et continue de l’histoire. Au sens général, décadence veut dire transformation, transition du passé à l’avenir. Tant que dure visible encore la physionomie du passé, c’est un soin touchant que celui qui s’applique à en suivre la dégradation successive. Les institutions et les dogmes prennent avec l’âge, aussi bien que les édifices, un air de flétrissure et de langueur qui invoque la sympathie, l’indulgence, une sorte de respect. Dès que paraissent à l’horizon les lueurs nouvelles, c’est un vif plaisir que d’en recueillir les rayons et de surprendre les premiers linéamens du jour prochain. Quelquefois les plus grandes scènes du renouvellement historique se meuvent et les transformations s’accomplissent dans le silence et les ténèbres, parfois aussi au bruit des écroulemens et des chutes retentissantes. Ces divers caractères s’attachent à la vaste époque de transition entre les temps anciens et le moyen âge, qu’Amédée Thierry a particulièrement étudiée. La vie du IVe et du Ve siècle tantôt sommeille et paraît devoir expirer au sein de la décadence byzantine, tantôt afflue dans les solitudes mystiques du désert ou au milieu des querelles religieuses, ou bien s’agite tumultueusement sur ces champs de bataille qui voient se briser les dernières forces impériales et s’élever les nouveaux royaumes. Amédée Thierry lui-même a dépeint avec énergie en quelques lignes le terrible aspect de ces catastrophes. « Lorsqu’une société, dit-il, par suite de bouleversemens pareils à celui qui vint alors ébranler l’empire, est jetée hors de ses cadres séculaires, les événemens qui s’y produisent n’ont plus de raison ni [illisible] et parfois même plus de vraisemblance : la fiction semble [illisible] devenue un art, avec la réalité, ou plutôt l’imagination du plus hardi