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et des poètes, par les nouveaux axiomes du droit, proclamés dans les codes, enfin par la chute des religions païennes et le triomphe du christianisme. À ce triomphe de la religion chrétienne, il a pris soin d’assigner une place à part, prouvant qu’au contraire de l’unité politique, civile et morale, établie dans l’empire par l’action directe du gouvernement et de l’esprit romains, l’unité religieuse et chrétienne s’est fondée en dehors de cette action et précisément contre elle. La religion officielle de Rome païenne était une institution essentiellement aristocratique; que pouvait-il donc y avoir de commun entre elle et cette autre religion qui proclamait un Dieu mort volontairement pour le salut de tous les hommes? Tout l’édifice de la société civile reposait sur l’esclavage; quels liens pouvait-il donc conserver avec une doctrine qui devait, pour être conséquente, commencer par abolir l’esclavage, c’est-à-dire par bouleverser le monde antique ?

Cette idée d’une importante distinction entre la république romaine et l’empire, la première des deux époques ayant son rôle à part comme tout aristocratique et guerrière, la seconde comme toute démocratique, en dépit de certaines apparences, avec une vaste mission civilisatrice, Amédée Thierry l’exposait dès 1840 dans son Introduction à l’histoire de la Gaule sous l’administration romaine. Il est à propos de remarquer cette date, afin qu’on ne croie pas apercevoir après coup dans sa théorie quelque reflet direct ou indirect des événemens ultérieurs. A quelque temps de là cependant, en 1842, un prince destiné à un retentissant avenir, mais alors prisonnier dans le château de Ham, adressait à un de ses amis une lettre où il s’exprimait à peu près en ces termes : «je viens de lire l’Introduction de M. Amédée Thierry; voilà de l’histoire sérieuse et vraie. Qu’importe que Tibère ait été cruel et que Caligula ait fait nommer son cheval consul, s’ils ont fait avancer les peuples par la grande politique des Césars ? Parce que le Tibre roule des eaux fangeuses, en est-il moins le fleuve qui arrose la ville éternelle?» Nous ne voulons pas rechercher en quelle mesure les pages écrites par Amédée Thierry pouvaient correspondre aux théories écloses dans l’imagination du prince, ni quel progrès firent plus tard ces idées; nous avons voulu seulement constater par un témoignage digne de remarque le caractère de nouveauté et le retentissement de ces explications historiques. Qu’il y ait dans la théorie émise une grande part de vérité, cela est incontestable; les progrès de l’épigraphie et de la science du droit ont démontré qu’en effet l’administration et la législation romaines ont rendu de grands services aux peuples, surtout pendant les trois premiers siècles de l’empire, et il n’est pas moins certain que les provinces avaient subi de la part de l’aristocratie républicaine, au lendemain