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l’école historique moderne de raviver partout le sentiment de la patrie; il lui importait de connaître quels élémens ont formé la Gaule, de quels cours d’eau le fleuve s’est formé.

Plus d’une objection s’est produite, dans ces derniers temps, contre sa division en Galls, Kimris et Kimro-Galls, et particulièrement contre l’extension qu’il a donnée au sens du mot Kimris, jusqu’à y comprendre et jusqu’à compter ainsi parmi les populations de race celtique des groupes appartenant sans nul doute à une origine germanique. C’est le cas pour les Cimbres, qu’il range expressément parmi les Celtes. A la vérité, les auteurs anciens eux-mêmes ont longtemps confondu ces deux grandes populations des Celtes et des Germains ; mais cette confusion a cessé à partir de César, qui le premier s’est avancé au-delà du Rhin et a reconnu, puis constaté lui-même la distinction nécessaire des deux nationalités. Si quelques écrivains de l’époque impériale sont retombés, par un langage d’habitude, dans cette erreur, les témoins les plus autorisés, Pline et Tacite, à l’exemple de César, s’en sont bien gardés, et ce n’est pas sans une certaine hardiesse de paradoxe que des érudits, au-delà du Rhin, ont récemment encore soutenu cette thèse dans toute sa rigueur. On ne doit pas accuser Amédée Thierry d’avoir partagé cette opinion : son Histoire des Gaulois l’atteste; c’est sur les confins seulement de la question que sa théorie ethnographique, solidement construite d’ailleurs, a pu prêter à des hésitations et à des doutes.

Quelle nouveauté n’était-ce pas au reste qu’un livre d’une si saine érudition, d’une si sévère critique, sur des problèmes dont l’étude, par les abus précédens d’une science imprudente, avait été presque discréditée! Qui ne se souvient des excès de l’école celtomane du commencement du siècle? Les quelques volumes de dissertations et de mémoires de la fameuse Académie celtique contiennent, à côté d’estimables travaux, des exagérations devenues légendaires. Le Brigant et son fidèle ami La Tour d’Auvergne ont laissé d’utiles études ; mais le premier surtout a glissé vers d’étranges systèmes, il faisait dériver toutes les langues du celtique : il avait prétendu, dans ses Observations fondamentales sur les langues anciennes et modernes, 1787, démontrer cette commune origine non-seulement pour l’hébreu, le chaldaïque, le syriaque, l’arabe, le persan, le grec, le latin et le français, mais aussi pour le chinois, le sanscrit, le galibi ou langue des Caraïbes, et l’idiome de l’île de Taïti! Le bas-breton devenait la langue-mère universelle; Adam et Eve n’avaient pu parler que bas-breton. Exagérations pardonnables, parce qu’elles sont conformes à une habitude de l’esprit humain. A toute science il arrive, au moment où elle s’essaie et veut établir ses premières bases, de prétendre à un domaine plus étendu que celui qui lui est propre, de s’élancer vers des conclusions extrêmes et d’embrasser