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terra incognita, il a déployé sa tente; il a revécu ces époques ignorées, évoquant les sentimens, les idées, les passions des hommes d’autrefois. Placées entre un monde expirant et un monde nouveau, ces générations devaient offrir à l’observateur, au prix d’un labeur difficile toutefois, une matière d’autant plus intéressante et complexe. C’est le mérite d’Amédée Thierry de nous avoir rendu la curieuse peinture d’une de ces époques de changement et de passage pendant lesquelles, suivant le témoignage d’un païen du Ve siècle, étonné d’un si émouvant spectacle, ce sont non plus seulement les choses, mais les âmes qui se transforment. Et le mérite de l’historien a consisté, non pas seulement dans le succès final, mais aussi dans le choix et l’emploi des moyens, dans une conception à certains égards nouvelle des méthodes historiques.


I.

Le point de départ intellectuel et moral, pour Amédée Thierry, n’a été autre évidemment que ce mouvement fécond des esprits sous la restauration, dont nous honorons encore dans leur verte vieillesse plusieurs glorieux représentans. Il a décrit lui-même quelque part « cette croisade généreuse qui fonda et popularisa chez nous la réforme historique. Peu d’époques littéraires, dit-il, provoquèrent une sympathie plus universelle et plus vive. On eût dit l’existence même de la patrie intéressée à ces recherches, dont elle était le premier objet. Toutes les imaginations semblaient en éveil, tous les cœurs battaient dans l’attente; c’était à qui apporterait son grain de sable à l’œuvre de reconstruction, et les mains qui ne travaillaient pas applaudissaient avec reconnaissance aux travailleurs. » La peinture est exacte dans sa brièveté ; elle correspond aux souvenirs dont nous avons commencé de recueillir presque en témoins la tradition. Après une longue période d’anarchie ou de guerre, l’ardeur du public, revenant aux choses de l’esprit, s’enivrait à une sorte de renaissance. Au milieu des sympathies populaires et de l’universel concours, quelle principale idée assez puissante pour leur gagner les esprits et les cœurs inspirait les fondateurs de la nouvelle école? En quelle mesure Amédée Thierry a-t-il servi tour à tour et lui-même invoqué cette idée première?

Nous ne voulons pas soutenir qu’avant cet essor littéraire de la restauration nulle école n’ait pris pour devise d’aimer et de poursuivre avec un zèle impartial la vérité historique; mais il est permis de croire qu’instruit par les événemens eux-mêmes, on a su mieux que jamais se diriger alors dans l’étude et la recherche de cette vérité. On y était guidé tout d’abord par une idée morale simple et forte, le respect de la liberté humaine, considérée comme source de