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je fus éveillé par un appel de clairon. Je me mis à la fenêtre et vis mes soldats qui arrivaient en armes sur la place et prenaient leur rang pour l’appel. Surpris, je descendis en hâte et demandai au lieutenant ce qui se passait. Il me dit qu’il venait de recevoir par un confidente un ordre de Guibelalde de se rendre immédiatement avec la compagnie au pont de la Bidassoa. — Pourquoi l’ordre ne m’est-il pas adressé? lui demandai-je.

— Capitaine, parce que la compagnie est encore sous mes ordres.

— Que va-t-on faire?

— Je ne sais, sans doute une reconnaissance... Le bruit court que les Anglais ont attaqué Irun.

— Et tu crois que je vais laisser mes soldats partir sans leur capitaine? Attends-moi.

Je remontai pour revêtir mon uniforme et prendre mon sabre, et j’embrassai Paula.

— Où vas-tu ainsi? me dit-elle tout effrayée.

— Ma chère âme, lui dis-je, mes vieux soldats m’attendent là-bas. Ils m’ont demandé cette dernière marque d’amitié. Nous allons faire une reconnaissance du côté d’Irun et nous reviendrons ce soir.

— Une reconnaissance ? reprit Paula en me regardant fixement, c’est-à-dire un combat?.. Ah ! Manuel, où sont tes sermens? Aie pitié de moi !

Maïtia, je t’en conjure, rassure-toi. Ce n’est que pour un jour… Demain tout sera fini, nous retournerons ensemble à Ascain, et nous ne nous quitterons plus.

Je la serrai dans mes bras et ne sais vraiment pas comment je fus assez dur pour la laisser... Cela devait être!.. Sitôt que je me vis le sabre en main sur le front de ma compagnie et que je partis avec elle clairon sonnant, je sentis se réveiller en moi le vieil homme. Quelques minutes après, à l’entrée du vallon, je rejoignis le 5e bataillon de Navarre, qui attendait près du pont, sur la route. Les soldats avaient formé les faisceaux et mangeaient un peu de pain et de lard. Tous les officiers s’empressèrent autour de moi, et Guibelalde me prit dans ses bras.

— Tu arrives au bon moment, me dit-il. Les Anglais attaquent Irun depuis hier soir. Ils sont venus en masse de Saint-Sébastien et du Passage pendant que l’armée est loin. Le pire, c’est que ce coquin de Garmendia m’a attiré hier tout le jour d’un autre côté, en se dérobant devant moi jusqu’à Saint-Esteban. Pendant ce temps, les Anglais ont fait leur coup. Un homme d’Irun a marché toute la nuit pour me trouver. Nous n’avons pas un moment à perdre, si nous voulons sauver la ville. En route !

Il reforma sa colonne, et nous prîmes d’un pas rapide la route d’Irun, le long de la Bidassoa. A la hauteur de Biriatou, nous quittâmes