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lieu de me réjouir, cette heureuse nouvelle m’assombrit. Ma femme le remarqua, et je vis un peu d’inquiétude sur son visage. Elle ne me dit rien cependant, espérant sans doute que ce ne serait qu’un nuage passager; mais je commençai à interroger les contrebandiers, et l’un d’eux m’apporta un matin une lettre, la réponse à mon offre de démission, réponse bien différente de celle que j’attendais. Je reconnus aussitôt l’écriture de mon ancien capitaine, le brave Guibelalde. Brigadier et nommé depuis peu à la place d’Ituritza au commandement des troupes de la frontière, c’était lui qui avait dû me répondre.

Mon ancien capitaine ne comprenait absolument rien à ma demande de démission; il semblait l’attribuer à quelque état de faiblesse ou de délire causé par la maladie. Il m’engageait à me guérir au plus tôt pour venir reprendre ma place, c’est-à-dire un grade supérieur, me parlait des dernières victoires, me faisait entrevoir une merveilleuse marche sur Madrid, préparée de concert avec don Ramon Cabrera, qui remplissait alors de ses exploits l’Aragon et la Catalogne. Quant à ma démission, personne ne voulait en entendre parler, ni lui, ni le général en chef, ni même sa majesté Charles V, lequel, au dire de Guibelalde, attachait du prix à mes services.

Cette lettre me jeta dans le plus triste embarras. On me refusait ma démission, et j’étais cependant fort décidé à la donner, moins encore pour tenir la parole engagée à Paula que pour ne pas me séparer d’elle. Je doutais même si peu de ma résolution, que je montrai franchement à ma femme la lettre de Guibelalde, en lui disant que j’irais voir le brigadier à Irun pour lui faire des observations et obtenir ce que je demandais. Paula me répondit, en affectant de paraître calme : — Tu ne passeras pas la frontière sans moi. J’irai avec toi à Irun.

— Et pourquoi donc ?

— Il me serait pénible de te laisser courir le moindre péril sans le partager. Laisse-moi aller avec toi, nous reviendrons ensemble.

J’y consentis, et la joie reparut sur son visage. Je devinai sa pensée : elle ne voulait m’accompagner que pour me ramener en France et s’assurer ainsi de mon retour.

Le jour même, j’envoyai une lettre à Guibelalde sans lui dire autre chose sinon que je partirais dans deux jours et que je le priais de m’expédier une escorte au col d’Ibardin pour la sûreté de ma femme.

Le surlendemain, après avoir annoncé à Errecalde que nous allions chez des parens à Saint-Jean-de-Luz, nous partîmes, Paula et moi, par une belle matinée de mai, à cheval l’un et l’autre, avec un mulet de bagages et un serviteur éprouvé. J’avais eu soin de me faire