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Paula m’attendait sur le seuil de la maison, très pâle, mais assez maîtresse d’elle-même pour ne pas laisser paraître son émotion. Elle me fit transporter dans un lit et parut n’exercer à mon égard que l’hospitalité ordinaire du pays, son père n’étant pas encore revenu des champs. Un moment après cependant, elle entra seule dans ma chambre et éclata en sanglots. Je la rassurai d’autant plus que je me croyais déjà guéri par le bonheur d’être auprès d’elle. Un chirurgien qu’elle avait demandé à Saint-Jean-de-Luz arriva deux heures après et déclara que ma blessure serait fermée au bout de quelques semaines, mais que la fièvre allait me prendre et qu’il ne fallait pas songer à me transporter ailleurs. Je ne sais si ma fiancée lui avait dicté cette ordonnance; lorsqu’elle l’entendit, les couleurs revinrent sur son visage. Son père ne s’aperçut de rien, ne se plaignit point de recevoir chez lui le capitaine Haristeghia. N’ayant jamais su ce qui se passait entre sa fille et moi, il la laissa sans le moindre soupçon me soigner comme une sœur de charité.

Je n’ai pas besoin de vous dire, mon ami, qu’elle s’y prenait bien et que la guérison faisait des progrès rapides. Au bout de huit jours, il ne me restait que le plaisir de voir sans cesse à mon chevet ma chère maîtresse. Que de fois elle me reprocha alors mon ingratitude! que de fois je lui jurai de ne plus la quitter! — Ene maïtia, ma bien-aimée, lui disais-je, je renonce à ma folie guerrière, je suis pour toujours à toi !

Voyez combien l’amour est égoïste et comme il se sacrifie à lui-même les premiers devoirs, les sentimens les plus sacrés! Ma mère était à deux ou trois lieues de là, j’aurais pu aisément me faire porter chez elle : je ne le fis pas. J’attendis d’être à moitié guéri pour lui demander une visite, et la priai de ne venir que rarement à Aguerria. Ma bonne mère comprit tout et ne se plaignit pas.

Je ne tardai pas à venir m’asseoir à la table de l’etcheco-yaona, et ce fut vraiment une fortune pour moi que le lieutenant de voltigeurs se trouvât un garçon de facile humeur, car il aurait pu me faire conduire à Bayonne. Il se contenta de me demander ma parole que je ne chercherais pas à m’enfuir. Ma guérison achevée, on devait m’envoyer dans une ville du nord pour y être interné.

Je causais beaucoup avec Errecalde et cherchai à combattre ses préventions contre les carlistes. Il me fit raconter par le menu les campagnes de Zumalacarreguy et y prit un extrême intérêt. A chaque trait brillant du héros, il s’écriait : — Ah ! quel général ! — ou bien : — Les Basques seront toujours les premiers soldats du monde! — Souvent il me disait : — C’est parce que vous êtes des Basques que vous battez les christinos. Il faut convenir que cette guerre fait honneur à notre race. — Peu à peu je m’établis ainsi dans son estime, et vous allez voir ce qui arriva.