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Leur chef, un homme de haute taille, essaya de les rallier en vociférant : il n’en put venir à bout. Alors je le vis se tourner vers moi et me faire un geste de bravade, puis se retirer tranquillement en essuyant le feu de mes troupes. Il me sembla reconnaître la tournure de cet homme sans pouvoir démêler mes souvenirs; le lendemain, je reçus un billet conçu à peu près ainsi : « Don Manuel, tu dois me connaître. Je suis Pedro Garmendia. Rappelle-toi Lesaca et Saint-Jean-de-Luz. La balle ou le couteau me vengeront de la bague et de la pelota. La partie est maintenant entre nous deux. »

Cette rencontre et cette bravade ne pouvaient arriver plus à propos : j’en eus une véritable joie. Je répondis à Garmendia qu’il était bien ridicule de penser me faire peur, mais je résolus de prendre plus de précautions avec lui qu’avec d’autres. Je le savais adroit et déterminé. Un de mes espions, que j’envoyai à la découverte, m’apprit les aventures de Garmendia. Ayant commis quelque meurtre, il s’était engagé dans l’armée espagnole au moment de la prise d’armes des Basques. Fils d’un negro, il n’avait pas cherché à les suivre. Apparemment il s’était bien battu, puisqu’on venait de le nommer lieutenant et de lui donner une compagnie d’urbanos à commander. Il se tenait avec elle à Elizondo, alors au pouvoir des christinos.

Dès lors nous passâmes le temps à nous chercher l’un l’autre. Garmendia me tendit plus d’une embuscade, mais toujours sans succès : ses hommes ne pouvaient pas tenir contre de vrais Escualdunac. Je surpris un jour ces misérables dans le petit village d’Aranaz, pas loin de Lesaca. Ils avaient fusillé le curé, outragé des femmes, et s’amusaient dans l’église à prendre pour cible le Christ et Notre-Dame. Nous arrivâmes à l’improviste et nous laissâmes dans l’église même, comme expiation, quinze ou vingt de leurs cadavres. Je ne sais comment échappa Garmendia. Une autre fois il fut surpris dans un bois par mon lieutenant. Plusieurs soldats l’entourèrent et lui enlevèrent son sabre. Il tira son couteau, en donna dans le ventre à deux ou trois et se sauva couvert de blessures. C’était, ma foi, un rude jouteur.

L’été se passa de la sorte sans que je pusse revoir ma fiancée. Franchir des montagnes et marcher toute la nuit pour causer quelques instans avec une amaztegheïa, nos jeunes Basques le font sans cesse; mais un officier ne pouvait se permettre de telles escapades. Paula, de son côté, qui avait des parens à Vera, aurait voulu s’y hasarder; mais je le lui interdis moi-même. Garmendia rôdait sans cesse dans la vallée, et lui aurait fait un mauvais parti. Une fois seulement je rencontrai ma maîtresse dans une étrange circonstance.

Une nuit du mois de novembre, me trouvant avec quelques hommes au col d’Ibardin sur le sentier d’Olhette, pour recevoir un convoi, j’entendis des coups de fusil résonner au-dessous de moi