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Si les Castillans ne veulent pas commander les Basques, nous serons bientôt à Madrid. — Je ne croyais pas un mot de ce que j’avançais, mais il fallait bien rassurer ma pauvre fiancée.

Nous causâmes une partie de la nuit, remontant aux souvenirs de notre première rencontre, ébauchant des projets, des rêves pour l’avenir. Il me fallait pourtant passer la frontière avant le jour. Vers deux heures, je dis adieu à Paula. Elle pleurait en m’embrassant, et moi je contenais mon émotion, mais je compris alors pour la première fois que l’on puisse sacrifier un devoir à une passion. Paula m’ouvrit la porte de la maison; je m’élançai dans la campagne et pris au pas de course le chemin d’Olhette. Un moment, je me jetai dans un taillis pour laisser passer une patrouille, puis je franchis au petit jour la frontière et arrivai sans encombre à Irun.

J’avais besoin de retrouver mes Navarrais, car cette nuit me laissait des vestiges funestes dans le cœur. Pendant plusieurs jours, je n’eus point de goût au métier. Lorsque, du haut des tours de Fontarabie, je surveillais la mer et l’entrée de la Bidassoa, je passais de longues heures à regarder les montagnes de France... Souvent je me demandais ce qu’allait devenir en moi le soldat. Une étrange rencontre ne tarda pas à le réveiller.

En vous racontant nos campagnes, je vous ai parlé, je crois, d’une milice créée par les généraux ennemis pour remplacer leurs troupes du côté de la frontière. L’honneur de leur parti n’y gagnait rien, car, pour former cette garde nationale, on avait ramassé tous les vauriens de nos villes, de Bilbao, de Pampelune, de Saint-Sébastien. Ces urbanos, appelés ordinairement aussi peseteros, parce qu’on leur donnait pour solde une peseta fort mal gagnée, n’étaient bons qu’à brûler les églises et les couvens. Vous pensez si nous haïssions des traîtres qui vendaient leur patrie et osaient porter le béret rouge. Ils nous le rendaient bien, mais n’osaient guère se mesurer avec nous : depuis que j’étais sur la frontière, je n’avais pas encore eu l’occasion d’atteindre et de frotter ces coquins.

Ituritza m’avait placé depuis quelques jours à Vera, pensant avec raison que je connaissais mieux que personne les montagnes d’alentour. Un matin, je descendais les dernières pentes de la Rhune, escortant avec un peloton des ballots de poudre qui avaient passé la frontière pendant la nuit. Tout à coup, d’un petit plateau couvert de hautes fougères que nous devions traverser pour rentrer à Vera, éclata sur nous une vive fusillade. Deux ou trois de mes soldats furent atteints, et je restai d’abord étonné de trouver sur mon passage des gens aussi hardis. Puis aussitôt je menai mes hommes au pas de course sur cet ennemi invisible. Je vis alors se lever une cinquantaine de peseteros qui commencèrent à jouer des jambes.