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vous l’avez sans doute déjà reconnue; je l’habite depuis quelques années... La chambre de Paula était alors celle où vous avez dormi, et la mienne toute voisine, l’une et l’autre ouvrant sur la galerie. Rien n’était plus aisé que de descendre de cette galerie, et quand je me vis là, je fus vraiment tenté de le faire, redoutant déjà ce qui allait se passer. Fallait-il donc reprendre ma chaîne après l’avoir brisée? N’était-il pas plus sage de regagner mon poste au plus vite sans regarder en arrière?.. Ainsi la raison parlait en moi : mais à vingt ans on n’écoute pas toujours la raison. Je restai sur la galerie, respirant une nuit embaumée de printemps, et, à mesure que l’heure avançait, de plus en plus troublé et impatient de voir celle qui m’attendait aussi.

Le léger bruit d’une porte qui s’ouvrit discrètement me fit tout à coup tressaillir. Paula sortit de sa chambre à pas muets et vint à moi sans hésiter. — Tout le monde dort dans la maison, me dit-elle à demi-voix, cependant parlons bas : il y va de notre intérêt à tous deux. Vous me pardonnerez de vous avoir donné si brusquement ce rendez-vous. Il vous est bien difficile de vous arrêter dans cette maison, et j’ai tant de choses à vous dire!.. Oh ! quelle joie de vous retrouver et de vous revoir!.. Je savais que vous ne tarderiez pas à revenir. La vieille Panchica, la sorcière, me l’a annoncé l’autre soir, et puis j’ai fait dire une messe à Notre-Dame de Guadalupe[1].

J’étais à la fois si honteux et si ému de cet accueil que je ne pus m’empêcher de dire avec ma franchise ordinaire : — Mademoiselle, je ne mérite pas l’amitié que vous me témoignez.

— Ne parlons plus de votre départ, reprit aussitôt Paula. C’est ma faute : c’est moi qui vous ai éloigné de la maison et vous ai porté à cette malheureuse résolution. Ah! j’ai assez pleuré mon erreur!.. Ce n’est pas moi d’ailleurs qui vous blâmerai d’avoir combattu avec nos frères d’Espagne; mais du moins ne pouviez-vous pas m’envoyer un adieu et de loin en loin quelque message par nos contrebandiers?..

A cela, je pus répondre sans trop mentir que j’avais toujours fait la guerre dans le sud de la Navarre, dans l’Alava et la Biscaye, et que je ne m’étais rapproché de nos montagnes qu’à d’e rares intervalles, dans des marches rapides.

— Ce qu’on veut, on le peut, murmura Paula. Avec quel embarras et quelle froideur vous vous excusez!.. Ah! Manuel, Manuel, vous ne m’aimez plus, moi qui ne respire que pour vous, moi qui vous ai attendu dans le deuil et dans les larmes pendant trois ans ! Vous voyez ces vêtemens noirs, je ne les ai pas quittés depuis le jour où j’ai appris votre fuite.

  1. Pèlerinage près de Fontarabie, célèbre dans le pays basque, où l’on prie pour le retour des absens.