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faire prendre sur l’autre bord. Je remontai la rivière, courant toujours, et au bout de quelques minutes je fus dans un bois sur la pente d’une colline. Là je m’arrêtai pour respirer et regarder derrière moi. Personne ne me suivait; on cherchait sans doute encore ma trace. La nuit approchait, je n’avais qu’à hâter le pas pour me mettre en sûreté.

Il me sembla qu’en suivant le cours de la rivière j’arriverais à Ascain et à Sare, mais je ne connaissais pas les sentiers parce qu’il n’y avait alors de route que sur la rive gauche de la Nivelle. Je me jetai au hasard dans les bois, marchant vite et m’écartant le moins possible du fleuve. J’allai ainsi pendant une heure environ; la nuit devint tout à fait noire, et je ne trouvais plus à me conduire. Je finis pourtant par sortir des bois, et en traversant une prairie je vis à quelque distance briller la fenêtre d’une maison. Je m’en approchai, et, comme ferait tout voyageur en pays basque, je n’hésitai pas à frapper à la porte pour demander l’hospitalité.

Une servante vint ouvrir. Je lui dis en bon dialecte labourdin qu’il me fallait aller à Aïnhoa, et que je désirais un abri pour la nuit. Elle me répondit qu’elle allait prévenir le maître de la maison. Elle me fit entrer dans une chambre du rez-de-chaussée. Un instant après, elle reparut et me dit : — Le maître est sorti, mais l’etchecanderea va venir. — Elle posa sa petite lampe sur une table et me laissa seul.

Je regardais contre les parois de la chambre quelques estampes représentant les batailles de l’empire et un portrait de Napoléon, lorsque la porte s’ouvrit. Une jeune femme entra, petite et vêtue de noir de la tête aux pieds. Pensant que c’était la maîtresse de la maison, je m’approchai en lui disant d’un ton respectueux : Agur, anderea. Au même instant, je la vis pâlir, porter la main à son cœur et s’appuyer sur un meuble voisin pour ne pas tomber.

Je m’avançai aussitôt vers elle, mais je m’arrêtai à mon tour et tressaillis. Nous nous regardâmes un instant l’un l’autre sans dire une parole.

— Ah ! mademoiselle Paula, murmurai-je tout tremblant, qui l’eût jamais pensé?

— Manuel! C’est donc bien vous! s’écria-t-elle avec joie, et de vives couleurs revinrent aussitôt sur son visage. Comment êtes-vous ici? Pourquoi ne pas me l’annoncer? D’où venez-vous?

J’étais si surpris, si troublé de cette rencontre, que je ne pensai pas à mentir, et je racontai en trois mots la mission dont j’avais été chargé, l’aventure qui me mettait en fuite et le hasard qui m’amenait chez Errecalde.

— Vraiment oui, dit Paula, vous ne pouviez pas connaître notre nouvelle maison où nous habitons seulement depuis un an. Sainte