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— Vous comprendrez alors, reprit-il, que je l’aie, moi, aimée par-dessus tout, l’ayant connue si belle, que je me sois laissé enivrer de son charme puissant au point d’oublier mon amaztegheïa. La guerre était devenue ma fiancée. Comment aurais-je pu penser à autre chose qu’à mon rude métier ? Soldat, sergent, officier, je l’embrassai avec toute l’ardeur de ma jeunesse. Je n’avais plus d’autre souci que mon service, d’autre rêve que les combats. Parfois peut-être, couché les nuits d’été sur la bruyère et caressé d’une brise parfumée, je me rappelais la fête de Lesaca et la jolie fille d’Ascain à qui j’avais donné mes sermens ; mais ce souvenir lointain m’apparaissait comme un songe naïf ou un amusement de l’enfance, indigne d’occuper un homme et un soldat.

Cette vie dura deux ans, jusqu’à la mort de Zumalacarreguy. Vous savez ce qui arriva : l’envie n’épargna pas celui qui s’oubliait toujours lui-même. On le contraignit d’attaquer Bilbao, et le 15 juin 1835 une balle vint tuer du même coup ce grand homme et la fortune de Charles V. Hala behar beîtzen, cela devait être !

Il m’avait nommé capitaine trois ou quatre jours auparavant. Quand je le vis mort, il me sembla que l’âme de la patrie cantabre s’exhalait avec la sienne. Je cherchai une occasion de me faire tuer. Hélas ! on ne nous en donnait plus. La division se glissait parmi nos chefs, et pendant plus de dix mois l’armée resta sur la défensive. Aussi je me tins très heureux d’être envoyé l’hiver suivant, avec mon bataillon et le brigadier Ituritza, sur la frontière de France, où j’espérais trouver de la besogne. Don Joaquin était rentré à sa cure de Lesaca depuis la mort du capitaine-général, et ce fut chez lui que je revis ma mère en venant prendre mon nouveau poste.

Vous savez que le premier soin de Zumalacarreguy, dès qu’il se vit en forces, fut de s’assurer la frontière, de façon à pouvoir tirer de la France par le pays basque ses approvisionnemens, toutes les villes des Provinces étant aux mains de l’ennemi. Vous savez aussi que le gouvernement français donnait alors au parti christino le plus d’appui qu’il pouvait. À peine les Provinces furent-elles soulevées qu’une armée française vint prendre position sur la frontière, et l’on eut soin de la confier à un Basque, au général Harispe, qui avait fait la guerre autrefois dans nos montagnes et connaissait trop bien le pays. Je n’ai rien à en dire : il exécutait des ordres ; mais nous l’avons maudit plus d’une fois pour les conseils et l’appui qu’il donnait aux généraux de Christine, sans parler de l’argent et des cartouches qu’il leur envoyait, même au traître Mina, son ancien adversaire.

Il s’agissait donc d’intercepter les approvisionnemens de l’ennemi et d’assurer les nôtres. Nos colonnes volantes faisaient l’un et l’autre en parcourant la frontière, et ce n’était pas une besogne difficile.