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tout à coup une victoire : Zumalacarreguy a battu Lorenzo à Asarta, il a pris le fort d’Orbaïceta, il a pris Zubiri et Urdaniz. Notre imagination grandissait encore ces glorieux bulletins, et le chef carliste devenait pour nous le génie même de la nation. On le voyait de loin courir les montagnes navarraises pour tomber à l’improviste sur ses ennemis ou passer invisible à travers le réseau de leurs armées. Ces merveilleux récits m’arrachaient des larmes de colère. J’avais perdu le sommeil, et par tous les temps j’allais dans la montagne épier le passage des contrebandiers pour être le premier à saisir leurs nouvelles.

L’un d’eux, assez proche parent de mon père et fameux dans le pays, — on l’appelait Bidarray, — m’amena un matin un homme d’Elizondo qui lui avait apporté pendant la nuit des dépêches pour être transmises à Bayonne. Cet homme me raconta qu’une colonne carliste était arrivée à Elizondo, la veille au soir, avec Zumalacarreguy. D’après quelques paroles échappées devant lui à des officiers, car il était un confidente, un espion, il supposait que le général, après avoir traversé le Baztan, marcherait vers Goyzueta, où se trouvait alors la junte carliste de Navarre.

J’eus aussitôt la pensée d’aller voir cette glorieuse armée qui passait si près de la frontière. J’embrassai ma mère et partis avec Bidarray pour guide. Toute la journée, je marchai dans la neige qui couvrait nos montagnes (on était en février), et vers quatre ou cinq heures du soir j’arrivai à Goyzueta. Près de la ville, sur une hauteur on me cria : Qui vive? C’était un factionnaire carliste qui barrait le sentier. Je répondis : Navarre! et je passai, tout fier déjà de me trouver au milieu d’un camp.

L’avant-garde carliste occupait Goyzueta. Des volontaires allaient et venaient par la ville, préparant des vivres. D’autres sur la place gardaient les faisceaux d’armes, et quelques officiers se promenaient en fumant la cigarette. Je regardais tout émerveillé cet appareil militaire, ces soldats dociles, ces rudes officiers aux longues moustaches dont les sabres traînaient sur le pavé. Tout à coup une fanfare de clairons se fit entendre au loin, et les gens de la ville crièrent de tous côtés : Zumalacarreguy ! Au même instant, un peloton de cavaliers arriva au trot sur la place. C’étaient ces fameux lanciers de Navarre que créait alors le capitaine-général, et qui portaient au hasard, suivant qu’ils les prenaient à l’ennemi, celui-ci un uniforme de dragon, celui-là de hussard, un autre la veste du paysan et le mouchoir noué autour de la tête, t04is taillés en athlètes, avec des mines terribles, et une lance qu’ils semblaient manier comme un jouet.

Je courus me mettre à l’entrée de la rue, et bientôt arriva, clairons en tête, un bataillon navarrais. Vêtus aussi de la dépouille des