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EL MATARIFE


I.

Au mois de juillet 1869, me trouvant à Biarritz, je rencontrai un matin sous les platanes Édouard D…, sportsman bien connu à Pau, où il avait alors des chevaux de course, homme d’esprit d’ailleurs et cœur excellent. Je m’étais étroitement lié avec lui dans une garnison commune lorsqu’il servait au 4e hussards, et ne l’avais pas revu depuis deux ou trois ans. Aussi ce fut de part et d’autre une explosion de joie. — Mon cher ami, lui dis-je, tu ne pouvais pas venir plus à propos. Je suis seul ici, sans aucune connaissance et passablement excédé de ce tohu-bohu qui me gâte l’Océan.

— Il y a un moyen d’y remédier, me répondit Édouard. Je n’ai pas rencontré ici les gens que je cherchais. Viens avec moi à Saint-Jean-de-Luz, où je dois m’arrêter quelques jours. Tu y trouveras une plage superbe, le calme et ces sites pittoresques que tu aimais au bon temps.

Aussitôt dit, aussitôt fait. À midi, nous prenions ensemble le train d’Espagne, qui nous laissa une demi-heure après à Saint-Jean-de-Luz. Le soir même, nous louâmes au bord de la mer une maisonnette fort propre avec une vieille Basquaise pour nous servir, et Édouard écrivit à son cocher de lui amener deux chevaux et un phaéton. Je n’étais pas médiocrement surpris de voir mon ami quitter le séjour élégant de Biarritz pour une petite ville où je n’aperçus tout d’abord que de rares baigneurs ; mais je n’attendis pas longtemps l’explication de cette mystérieuse retraite. Édouard me la donna lui-même le jour suivant, tandis que nous revenions du bain en suivant les contours de la rade.

— Puisque tu as accepté mon invitation, me dit-il, sans me demander ce qui m’amène ici, je ne dois rien te déguiser, d’autant plus que tu me rends sans le savoir un service important. Regarde-moi bien de la tête aux pieds et dis-moi si j’ai la mine d’un conspirateur. — Je m’arrêtai, cherchant ce qu’il voulait dire. — Ce