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artifice coupable pour détourner les jurés de leur devoir; le juré convaincu de s’être laissé séduire sera passible des mêmes peines, accrues d’un degré, à la réserve toutefois des cas plus graves de condamnation ou d’acquittement; en outre, dans les affaires criminelles, il est interdit à la presse de publier aucun acte de procédure écrite, non plus que le compte-rendu ou le résumé des débats, avant que la sentence définitive n’ait été prononcée ; défense aussi de publier les noms des jurés et des juges et de faire connaître leurs votes; toute contravention aux précédens articles entraînera pour le coupable une amende de 100 à 500 fr. et la suppression du journal. Telles quelles et ainsi formulées, ces dispositions répondent à de graves inconvéniens qu’on avait pu signaler en plusieurs endroits dans le fonctionnement du jury; par malheur en effet, l’état social de quelques parties du royaume offre plus d’un rapport avec celui de la Sicile elle-même. Il n’est pas douteux que la loi n’amène d’heureux résultats en Italie et même en Sicile, du moins dans l’est, beaucoup moins troublé; mais dans le royaume de la mafia, dans les provinces de Trapani et de Catanissetta, surtout dans celles de Girgenti et de Palerme, son effet sera nul ou presque nul. Dès 1871, M. Tommasi-Crudeli, d’accord en cela avec les hommes les plus distingués du parti libéral, demandait pour les provinces occidentales de l’île l’abolition complète et immédiate du jury. Dans un pays où le malandrinaggio a de telles racines, où personne n’ose témoigner, où la loi n’est pas obéie, conserver le jury n’est-ce pas assurer le malfaiteur de l’impunité et désarmer la justice? Jusqu’ici, on n’a pas voulu toucher au principe ni donner à la Sicile un régime trop exceptionnel ; on a prétendu qu’il fallait dans tout le royaume maintenir l’unité la plus parfaite, non pas seulement dans les lois, mais encore dans la manière de les appliquer; on a recours périodiquement à quelques violences de police civile et militaire, et pour le reste on s’en remet au temps. Le véritable libéralisme au contraire ne serait-il pas d’assurer à tout prix le bonheur et la tranquillité du pays?

Il y aurait ici une dernière question à soulever, question des plus délicates, mais qui n’en a pas moins d’importance : c’est celle du choix et de la personne même des magistrats. En effet, le gouvernement aura beau faire et adopter contre le malandrinaggio les mesures les plus pratiques et les plus salutaires, tout son bon vouloir sera inutile, si ceux mêmes chargés de les appliquer font cause commune avec la réaction, et si la mafia peut espérer trouver dans ses juges une approbation mentale et comme une secrète connivence. Les magistrats siciliens, sous l’ancien régime, étaient triés avec soin parmi les gens les plus dévoués aux Bourbons. Après l’annexion, comme on réorganisait entièrement la magistrature italienne, l’occasion parut propice pour disperser ces opposans dans d’autres provinces