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LE MALANDRINAGGIO EN SICILE.

Trop longtemps en effet, le gouvernement des Bourbons s’est contenté d’encaisser l’argent des contribuables siciliens, le détournant et le gaspillant à sa guise, sans en consacrer la moindre parcelle aux travaux de première nécessité, routes, ponts et canaux. L’insuffisance ou le mauvais état des voies de communication est une des causes qui ont le plus aidé à la formation de la grande propriété dans les terres basses de l’île, et peut-être n’en est-il pas d’autre dans les parties montagneuses. Quoi qu’il en soit, on trouve des paysans qui pour toutes ces raisons, partant de chez eux dès l’aube, ne peuvent arriver à leurs champs avant dix heures du matin et sont forcés d’en repartir à deux ou trois heures, s’ils veulent rentrer dans un lieu salubre avant que la nuit les surprenne.

Ce sont là évidemment des conditions déplorables, qu’il s’agisse de la sécurité publique ou de la prospérité du pays. Au moment de la moisson, dans l’intérieur de l’île, on campe quelques jours en pleins champs; mais, en temps ordinaire, la campagne n’est qu’un désert, et le brigandage peut s’y exercer librement. Çà et là, pendant la journée, quelques malheureux paysans, venus de fort loin et presque tous armés, car leur fusil ne les quitte pas, caché près d’eux sous un arbre, au coin d’un sillon. Vienne une occasion, la tentation est vraiment trop forte de prêter la main aux bandits; à tout le moins serviront-ils de receleurs. Pas de fermes ou de maisons isolées comme chez nous, peu de vrais villages; ceux qu’on rencontre de loin en loin, et qui par le nombre de leurs habitans pourraient avoir l’importance de vraies cités, offrent partout, dès qu’on y pénètre, l’image de la misère et de la dégradation. Là végète misérablement toute une population de prolétaires, cultivateurs nomades, ignorans, abrutis; au-dessus d’eux, une oligarchie tyrannique, composée de propriétaires et de tenanciers, ou même de brouillons sans fortune, qui ont en main les affaires de la commune, répartissent les taxes à leur gré, et soit par caractère, soit par intérêt, se soucient peu de rien faire pour l’amélioration morale ou intellectuelle de leurs administrés. Ni livres, ni journaux, ni écoles. Le plus souvent ces petites aristocraties se divisent en deux camps opposés et se disputent le pouvoir, leurs cliens combattent pour elles; ce sont entre familles des conflits incessans, des haines interminables et d’odieuses vengeances : chaque maison surveille la maison voisine, le lit n’est jamais placé en face de la porte par précaution contre les attaques nocturnes. Tel est l’état de la plus grande partie du pays.

Comment après cela s’étonner que le malandrinaggio soit devenu en Sicile un mal endémique? Mais il convient en outre de signaler l’insouciance ou la faiblesse dont ont toujours fait preuve dans la répression les différens gouvernemens qui jusqu’à ce jour ont régi