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ne se connaît point à faire aucun châtiment. L’église est une bonne mère qui pardonne tout à ses enfans meurtriers, et elle a pris dans les bulles des papes une si grande précaution pour aller au-devant de ces punitions qu’elle a fait des définitions exprès pour déterminer l’espèce et le nombre des crimes... En bonne vérité, cela ne vous fait-il pas compassion? Or, monsieur, ayant discouru sur cette matière avec le vicaire-général, je l’ai trouvé si fort conforme à nos mœurs qu’il ne souhaitait rien tant que de voir ôter cette immunité ecclésiastique à la plupart des églises de Messine, confessant lui-même avec gémissement qu’elle était la cause d’une infinité de meurtres dans toute la Sicile... » (16 janvier 1677.) — Aujourd’hui privilèges et immunités ont été abolis; mais le principe n’en subsiste pas moins. Aux yeux de l’église, toute faute peut être pardonnée, toute tache lavée, même une tache de sang. Un assassin en Sicile ne manquera point de se confesser : sans doute il a commis un grand crime, mais, comme il se repent, le prêtre ne saurait lui refuser l’absolution. Dès lors le peuple ne voit plus en lui un coupable, et le gouvernement qui le poursuit n’est plus qu’injuste et cruel. Quand Dieu a pardonné, l’homme aurait-il le droit de punir? Ainsi raisonnent nos bandits, qui font leurs mauvais coups sans le plus léger scrupule. Qu’ils puissent échapper seulement à la justice humaine, et pour le reste ils s’en remettent humblement à la bonté divine.

En Sicile, comme dans beaucoup des contrées méridionales de l’Europe, la culture intensive, impliquant le séjour permanent des hommes et des animaux, est rendue impossible sur de vastes étendues de pays par la sécheresse ou la malaria. Sauf en quelques parties plus favorisées, comme cette belle vallée qui entoure Palerme, et qui mérite si bien son nom gracieux de Conca d’Oro, le produit du sol se borne nécessairement aux céréales; dans ces conditions, l’exploitation agricole de petites portions de terrain ne serait plus suffisamment rémunératrice, et la petite propriété n’a pu s’établir. Là même où, grâce à la vente et à l’affermage des biens ecclésiastiques ou domaniaux, on avait cru naguère obtenir le morcellement de la propriété territoriale, les nouveaux occupans ont été forcés bien vite d’abandonner la partie. Or les grandes propriétés, latifundi, n’ont pas de colons, c’est-à-dire de paysans habitant le lieu cultivé. Le grand propriétaire ou le grand tenancier divise le terrain en lots, qu’il loue et sous-loue à différens cultivateurs, lesquels paient leur fermage en nature avec une part déterminée de la récolte. Ces fermiers cultivent leur lot ou par eux-mêmes ou par des journaliers : les uns et les autres habitent des villages situés dans un lieu salubre, mais qui parfois se trouvent à de très grandes distances des terres arables. En outre, dans toute l’île, spécialement dans l’ouest, l’état des routes est vraiment déplorable.