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sauterelles exécutent une sorte de musique ; selon notre auteur, les instrumens se sont façonnés et perfectionnés d’âge en âge ; les talens ont été acquis de la même manière. Les premières cigales ne durent émettre que des sons presque imperceptibles ; elles auraient donc beaucoup gagné, car les habitans des contrées méridionales savent combien elles sont assourdissantes.

La différence du plumage entre les individus des deux sexes chez bon nombre d’oiseaux est connue de tout le monde. Les grandes beautés des coqs, des faisans, des paons, des canards, sont l’apanage des mâles. M. Darwin veut croire que les premiers ancêtres de ces oiseaux avaient des couleurs ternes. Comme par accident, des femelles ont quelques plumes plus brillantes qu’à l’ordinaire, de même que certaines femmes affectent des traits un peu masculins. M. Darwin voit dans ce fait le signe de la sélection sexuelle. Le premier faisan mâle qui s’est distingué n’eut aussi que de petites marques lustrées, mais cet avantage a procuré à l’oiseau toutes les bonnes grâces des femelles ; il a été plus aimé que les autres. Un auteur engagé dans une telle voie ne s’arrête pas, et déjà sans doute on a compris que l’homme lui-même, d’après l’avis du savant anglais, a dû se perfectionner par la sélection sexuelle. La taille de l’homme supérieure à celle de la femme, le courage, l’énergie, seront déclarés acquis dans les temps primitifs et toujours augmentés par les rivalités pour la possession d’une compagne ; ce qui est plus fort, la barbe aurait poussé au singe mâle supposé notre premier ancêtre pour le charme de l’autre sexe, et transmise ensuite à l’homme par voie d’hérédité. De pareilles réserves sont-elles du domaine de la science ? Nous ne pouvons l’admettre. Si la sélection sexuelle n’est pas absolument un vain mot, elle s’exerce d’une façon tout opposée à celle qu’on indique. Nous avons rapporté autrefois une curieuse observation à l’égard des pigeons de volière, les gros mâles recherchaient les petites femelles, les grosses femelles les petits mâles. M. Darwin, qui pratique la sélection pour son compte personnel, se garde de mentionner le fait. Nous savons, dans les sociétés, que la dissemblance des individus des deux sexes devient souvent un attrait puissant. Lorsque les choix sont libres, ils contribuent à maintenir les caractères et les proportions ordinaires de l’espèce. Il nous reste maintenant à examiner les résultats de l’hybridité, le mode d’évolution des êtres, et enfin les changemens survenus depuis l’apparition de la vie sur le globe.


ÉMILE BLANCHARD.