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façon sur les glaces; le renard arctique, l’hermine, le lièvre des Alpes aux teintes terreuses pendant l’été, ont l’hiver la blancheur des champs de neige qu’ils parcourent. Les bêtes nocturnes, chauves-souris, rats et souris, portent le vêtement qui dissimule le mieux dans l’obscurité. A la vérité, le tigre, le léopard, les panthères, ont des marques bien voyantes; ils se cachent sur les arbres; d’ailleurs, dit avec certaine raison M. Wallace, l’appropriation aux conditions d’existence demeure plus ou moins complète, d’autres naturalistes soupçonnent des desseins de la nature encore voilés à nos yeux.

Parmi les oiseaux, les couleurs protectrices sont fort ordinaires. Même sans les récits des voyageurs, on présumerait à bon droit que les perroquets, les touracos, les guêpiers parés de belles teintes vertes, sont difficiles à découvrir dans le feuillage des forêts tropicales. Au désert, les abris manquent : sur de vastes étendues, on ne voit ni un arbre, ni un buisson; alouettes, cailles, fauvettes et gangas qui parcourent l’espace, ont des nuances grises ou une couleur isabelle comme les sables. Dans les montagnes de l’Europe, aux jours de l’été, le lagopède a un plumage qui s’harmonise d’une façon complète avec la nuance des pierres couvertes de lichen, il se complaît entre ces roches, et, disent les chasseurs, souvent une bande entière d’oiseaux échappe à la vue. L’hiver, le lagopède a changé de costume; aussi blanc que la neige, il conserve l’avantage de ne point éveiller l’attention. Les teintes jaunes, brunes et cendrées des feuilles mortes se retrouvent dans le plumage du coq de bruyère; sous les grands arbres, affaissé sur le sol, l’animal demeure presque invisible. Un engoulevent de l’Amérique du Sud, aux couleurs plus claires que les autres espèces du même groupe, habite des îlots pelés du Rio-Negro supérieur, rapporte M. Wallace[1]; immobile sur la roche nue, l’oiseau semble défier toute clairvoyance.

Aussi bien ou mieux encore que les mammifères et les oiseaux, les reptiles, par caractère enclins à la dissimulation, ont en général des couleurs faites pour tromper. La vipère cornue et le grand lézard des sables de l’Egypte et du Sahara qu’on nomme le varan du désert présentent du sol le ton uniforme. Dans les chaudes contrées, tranquilles sur les troncs, les geckos exposent au soleil un dos marbré qu’on distingue avec peine de l’écorce. Nos lézards courant à travers les buissons ou dans les herbes sont d’un beau vert; les magnifiques iguanes de l’Amérique du Sud vivent sur les arbres, et ils ont absolument la couleur du feuillage. Des serpens peuvent être confondus avec des branches; d’autres, les dendrophides de l’Inde, des îles de la Sonde ou des Moluques, ont des

  1. Le caprimulgus rupestris.