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à nulle créature vivant dans les conditions ordinaires. Il n’éprouvera pas la moindre peine à déclarer que les anophthalmes clairvoyans ont dû s’éteindre; il faut toujours s’en prendre à la sélection. Décidément le mot est magique. Au sujet de la faune de Madère, le savant anglais tombe dans une amusante méprise. Un habile entomologiste, M. Wollaston, a recherché avec un soin extrême les coléoptères qui vivent dans l’île; 550 espèces environ ont été recueillies, et sur ce nombre 200 à peu près manquent de la faculté du vol. M. Darwin attribue l’atrophie des ailes au défaut d’usage et à la sélection. Ne croirait-on pas que sur le continent les insectes appartenant aux mêmes types sont mieux partagés? Il n’en est rien. Les représentans d’une famille entière de coléoptères ne volent pas; ce sont des insectes noirs, amis des ténèbres, qui abondent dans les grottes et dans les endroits arides au milieu des sables brûlans[1]. De même que les côtes de la Méditerranée, Madère offre des stations favorables à la vie de ces créatures. Notre auteur se préoccupe peu des conditions indispensables à l’existence des diverses espèces, et c’est la connaissance seule de ces conditions qui permet d’expliquer la présence de beaucoup de types particuliers de plantes et d’animaux sur certains points du globe.

Les recherches des géologues paraissent avoir singulièrement encouragé l’idée de perpétuels changemens dans la conformation des êtres; une comparaison donne confiance aux partisans de la variation indéfinie, mais par malheur, du côté de la nature vivante, la comparaison n’est justifiée par aucun fait. En observant l’érosion produite sur des roches par l’action de l’eau, le travail de plusieurs années semble parfois imperceptible. Il est aisé néanmoins de le reconnaître ; on pourra donc avec une sorte de certitude calculer le temps qui a été nécessaire pour amener l’état actuel et prévoir un résultat considérable dans la suite des siècles; de même, s’il s’agit de la diminution d’un glacier ou de l’accroissement d’un dépôt. La faute est de supposer une analogie chez les plantes et les animaux, de croire qu’une légère variation se transmet par voie d’hérédité et augmente sans cesse comme le sable que le flot apporte sur la grève. En se résignant à citer des exemples imaginaires, M. Darwin a fourni la preuve de l’impossibilité de saisir un seul indice de variations susceptibles de s’accumuler.

A l’égard de la sélection naturelle, un dernier trait du célèbre philosophe naturaliste achèvera de montrer ce que vaut l’hypothèse. L’idée de perfection croissante de chaque type reporte inévitablement l’esprit sur les êtres inférieurs; on trouve alors que la doctrine ne s’accorde guère avec les faits. M. Darwin ne voit aucune raison

  1. Les genres Pimelia, Erodius, Tentyria, Blaps, etc.