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royaume était couvert de la désolation, et la misère des hommes allait croissant de jour en jour. » Plusieurs chroniqueurs ajoutent que des troupes de brigands parcouraient le pays. La plupart de ces grands, qui figurent dans l’histoire des Carlovingiens, étaient des chefs de bandes armées[1]. Chacun d’eux avait des soldats, et le roi n’en avait pas. Ils avaient la force qui peut à son gré opprimer ou défendre, et le roi ne possédait aucun moyen d’exiger l’obéissance ou de donner sa protection.

Il arriva alors ce qui était arrivé chaque fois que les mêmes circonstances s’étaient rencontrées. Le faible, qui ne trouvait pas d’appui dans l’autorité publique, implora l’appui d’un homme puissant. Ce que César disait des anciens Gaulois peut se répéter pour les hommes du IXe siècle : « Chacun se donna à l’un des grands pour ne pas être à la merci de tous les grands. » Les contrats de patronage, de recommandation, de fidélité, se multiplièrent; on se fit client, fidèle, vassal pour vivre en paix. On se sentait abandonné de la royauté: on l’abandonna aussi, et l’on se livra à un comte, à un évêque, à un baron, dont on fit son seigneur, c’est-à-dire à la fois son protecteur et son maître. Voici, d’après une ancienne charte, un exemple de ces conventions : « Les hommes libres du pays de Wolen, jugeant que Gontran, homme puissant et riche, serait pour eux un chef bon et clément, lui offrirent leurs terres à condition qu’ils en jouiraient comme bénéficiaires, héréditairement, sous sa protection, en lui payant un cens annuel. » Ces hommes changeaient leur alleu en bénéfice, leur liberté en sujétion, pour avoir un défenseur.

Puis vinrent les incursions des Normands. Ces hommes, que la faim ou les divisions intestines chassaient de la Scandinavie, ne formaient que de méprisables troupes de pirates. On est surpris de leur petit nombre et du mal qu’ils firent. On se demande comment la société gallo-germaine avait pu devenir tout à coup si faible qu’elle ne sût pas résister à de pareils ennemis. Quelques chroniqueurs du temps ont attribué cette inconcevable impuissance à la bataille de Fontanet, dans laquelle le sang guerrier se serait épuisé. Il est vraisemblable que ce qui épuisa bien davantage ces générations, ce fut la perte de toute discipline sociale et la division qui se mit en elles. Elles furent incapables de se défendre contre les convoitises des peuples pauvres. Norvégiens, Danois, Hongrois, Sarrasins, tous ceux qui étaient très avides et un peu hardis, se jetèrent sur elles. A de si misérables adversaires, ce grand corps désorganisé

  1. Voyez sur tous ces points : Annales xantenses, ad ann. 834 et 838; — Vita Ludovici ab anonymo, c. 53; — Nithard, IV, 7; — Annales Bertiniani, ad ann. 843; — Vita Walœ, dans Mabillon, Acta sanctorum, t. IV, p. 510.