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et l’on peut apprécier la supériorité qu’avait l’antrustion, soit comme défendeur, soit comme demandeur, sur tous ceux qui n’étaient pas comme lui de la truste royale. Enfin la recommandation était ordinairement le moyen le plus sûr d’acquérir une fonction publique, un évêché ou une terre du domaine royal.

On n’obtenait pas ces avantages sans contracter des obligations proportionnelles. L’homme qui se recommandait au roi devait avant tout prêter dans ses mains le serment de trust ou de fidélité. Ce serment était d’autant plus rigoureux que les termes en étaient plus vagues. Par lui, l’homme engageait sa foi, c’est-à-dire sa volonté même et sa conscience. Il faisait l’abandon de sa volonté personnelle pour se soumettre en toutes choses à celui à qui il se dévouait. Il devenait le leude du roi, ce qui signifiait qu’il ne s’appartenait plus à lui-même et qu’il était l’homme du roi. Ces fidèles, ces leudes, ces antrustions dont il est si souvent parlé au temps des Mérovingiens, étaient fort éloignés d’être une classe aristocratique ou une noblesse : ils étaient ceux qui étaient liés au roi par le contrat de patronage; ils étaient donc ce qu’il y avait de plus dépendant, car l’unique règle de leurs relations entre eux et le roi était qu’en retour de sa protection toute spéciale ils devaient lui obéir et le servir sans nulle réserve.

Mais le roi mérovingien n’était pas seul à avoir des fidèles. Le patronage était une institution de droit commun. Tout homme pouvait attacher à soi d’autres hommes, pourvu qu’il fût assez fort pour les protéger ou qu’il eût des terres à leur offrir. Chaque grand propriétaire avait autour de lui, sur son domaine, une cour de cliens. L’homme de guerre avait une troupe de soldats qui, liés à lui par le patronage et recevant de lui la nourriture, la solde ou le butin, partageaient ses amitiés et ses haines, ses convoitises et ses vengeances; les lois des Francs mentionnent ces associations et laissent voir les désordres qu’elles commettaient. Les évêques et les abbés. de monastère avaient aussi leurs fidèles, qui occupaient leurs terres et qui les servaient, qui leur faisaient cortège et combattaient pour eux, qui étaient leurs courtisans et leurs soldats. Les fonctionnaires royaux, les comtes, les ducs, les ministres du palais étaient aussi des hommes dont le patronage était fort recherché. Grégoire de Tours cite un certain Andarchius qui était dans le patronage du duc Lupus. L’auteur de la vie de saint Didier dit que, lorsque ce personnage était trésorier du roi, beaucoup d’évêques et de fonctionnaires « vivaient sous l’aile de sa protection. » Saint Éloi, au début de sa carrière, « était dans le patronage et dans la sujétion » d’un trésorier du roi nommé Abbon. Un duc d’Auvergne nommé Calmilius « avait autour de lui une nombreuse