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pas, ainsi qu’on l’a dit, des rapports d’égalité. L’inférieur était sous la protection et en même temps sous l’autorité du supérieur. Il avait choisi son chef et s’était donné volontairement ; il n’en devait pas moins une obéissance absolue. Il avait toujours le droit de quitter son chef; mais aussi longtemps qu’il restait auprès de lui, il avait des obligations étroites à son égard. Grégoire de Tours parle de la petite troupe du Franc Ragnachaire ; il dit que les soldats étaient « ses leudes[1],» c’est-à-dire des hommes à lui, et qu’il était « leur maître. »


II. — LE PATRONAGE ET LA FIDÉLITÉ AU TEMPS DES MÉROVINGIENS.


L’institution du patronage, qui perçait déjà sous l’empire romain, se développa dans les sociétés qui succédèrent à cet empire. Gaulois et Germains s’en accommodaient également. Le désordre social et l’affaiblissement de l’autorité publique lui étaient favorables. Aussi la langue de l’époque mérovingienne est-elle remplie de termes qui désignaient cette institution. Dans l’idiome germanique, le patronage s’appelait mund, mundeburd, mainbour, et la fidélité s’appelait trust. En latin, on exprimait les mêmes relations par les mots defensio et patrocinium, clientela et fidelitas. On disait du subordonné qu’il était le leude de son chef ou son homme. Ces mots se trouvent à chaque page dans les actes et les formules.

Le principe essentiel de ce patronage et de tout le régime qui en devait découler était qu’un homme se donnait à un autre, homme; c’était un véritable engagement de la personne humaine. On ne saurait dire à quelle époque cet usage a commencé; les exemples que les chroniqueurs en rapportent forment une chaîne continue depuis l’empire romain jusqu’aux temps féodaux. Le poète Fortunatus en parle après Salvien et après Sidoine Apollinaire, Grégoire de Tours après Fortunatus, Frédégaire et les hagiographes après Grégoire de Tours. On ne saurait dire non plus que cet usage fût particulier à une race; les exemples qu’on en a sont aussi nombreux chez les hommes de naissance gauloise que chez les hommes de naissance franque. La clientèle ou fidélité était un refuge ouvert à tous, à l’ecclésiastique comme au laïque, au laboureur comme au guerrier, au petit comme au grand. Tout le monde aussi pouvait être patron. Le droit de patronage n’était le privilège d’aucune race, d’aucune classe; un évêque, un comte, un simple homme libre pouvait l’exercer. Le même homme pouvait être à la fois le client d’un plus puissant que lui et le patron d’un plus faible.

  1. Il s’en faut beaucoup que le mot leude désignât une classe aristocratique ; dans la langue du temps, il signifiait un serviteur, un homme des dernières classes. Voyez Grégoire de Tours, VIII, 9, et l’article 101 de la loi des Burgondes.