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militaire envers l’état. Il n’avait de redevances et d’obligations militaires qu’à l’égard de son patron. A peine reconnaissait-il la justice de l’état; c’était le patron qui était le plus souvent son juge. Les lois de la cité n’étaient rien pour lui ; sa seule législation était contenue tout entière dans le contrat qui le liait à son patron.

Le patronage était donc essentiellement hostile au régime de l’état; il luttait contre lui dans le temps même où César parut en Gaule. Sans l’intervention romaine, cette lutte se fût prolongée, et nul ne saurait dire lequel des deux systèmes d’institutions l’eût emporté. Il était possible que le patronage et la fidélité prissent le dessus, et la Gaule aurait vu alors s’établir une sorte de régime féodal. Les victoires de César donnèrent aux événemens un autre cours. Le principal résultat de la conquête romaine fut de rejeter dans l’ombre le patronage des chevaliers gaulois : elle fit prévaloir le régime de l’état, sous la double forme de l’association municipale et de la centralisation impériale. Il n’y eut plus d’autre autorité que celle de la curie ou celle de l’empire. Les lois étant assez fortes pour réprimer les grands et protéger les petits, ceux-là ne visèrent plus à s’entourer de cliens, ceux-ci n’eurent plus besoin de chercher des patrons.

Quelques siècles plus tard cependant, et au sein même de l’empire romain, le patronage reparut. L’autorité publique s’était affaiblie; l’ordre intérieur était troublé par les luttes des princes et par les révoltes des bagaudes; l’ordre extérieur l’était par les incursions des barbares. Il y eut alors un retour instinctif des hommes vers le régime de la sujétion personnelle. Les écrivains de ce temps-là décrivent bien le mouvement qui ramenait peu à peu les populations au patronage. « Le pauvre, dit saint Augustin, se met sous la dépendance d’un riche pour obtenir de lui la nourriture et pour vivre en sûreté sous sa protection. » — « Le faible, dit Salvien, se donne à un grand, afin que celui-ci le défende et le protège. » L’homme qui prenait un protecteur devenait un client, c’est-à-dire un serviteur; il se faisait sujet, ainsi que le dit encore Salvien, et se livrait à discrétion. Telles étaient en effet les clauses du contrat tacite qui liait les deux hommes, que l’un appartenait désormais à l’autre. Sidoine Apollinaire parle des cliens qui vivaient dans l’entourage des grands propriétaires du Ve siècle; il les distingue peu des esclaves et nous les montre partageant avec ceux-ci le service du maître.

Il est vrai que la condition de client n’était pas reconnue par les lois. Le droit romain, qui avait été créé par l’état, ne pouvait pas admettre une institution qui était l’opposé de l’état. Il ne connaissait, en dehors des esclaves, que des hommes libres égaux entre