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de prouver au sultan Schahriar toute la vanité des précautions jalouses. La belle infidèle met ensuite Ilia de Mourom dans la poche du mari trompé et éveille Sviatogor, qui la renferme à clé dans le coffret de cristal. Il remonte sur son cheval et se dirige vers les Saintes-Montagnes ; mais le coursier titanique trébuche, et, comme son maître le frappe de sa cravache de soie, il se plaint d’une voix humaine : « Auparavant je ne portais qu’un héros et ta femme héroïque, maintenant je porte une femme héroïque et deux héros; il n’est pas étonnant que je trébuche. » Sviatogor tire de sa poche Ilia de Mourom, l’interroge et apprend de lui la vérité. Alors il tranche la tête à sa femme et fait avec son prisonnier un pacte de fraternité guerrière : Sviatogor sera le grand frère et Ilia le jeune frère. C’est pendant ses expéditions en compagnie du géant que le héros de Mourom fait visite, dans les Saintes-Montagnes, au père de son compagnon. Le vieux était aveugle et impotent. Il demande à serrer la main d’Ilia pour voir si les bogatyrs russes ont les membres forts et le sang chaud. Le héros, prévenu par son ami, prend un énorme morceau de fer, le fait rougir au feu et le tend au vieillard. Celui-ci le serre à en faire jaillir les étincelles et les paillettes enflammées. « Bien, dit-il au jeune brave, tu as la main forte et le sang chaud; tu es un véritable héros. »

Cependant la destinée que le « forgeron des montagnes du nord » a forgée pour Sviatogor va s’accomplir. Comme les deux frères d’armes chevauchaient vers le septentrion, ils trouvent sur leur chemin un immense tombeau de pierre avec cette inscription : « celui qui est destiné à dormir dans ce tombeau y restera couché. » Ilia s’étend dans le sépulcre, mais il le trouve trop large et trop long pour sa personne. Sviatogor s’y étend à son tour, et le trouve parfaitement à sa taille. « Il est fait exprès pour moi, dit-il à son compagnon; prends le couvercle et couvre-m’en. — Je ne prendrai point le couvercle, mon grand frère, et ne t’en couvrirai point; c’est une terrible plaisanterie que la tienne. Veux-tu donc t’ensevelir vivant? » Alors Sviatogor prend lui-même le couvercle et le ramène sur lui; mais, quand il veut le soulever, tous ses efforts sont inutiles. « Ah ! mon jeune frère, s’écrie-t-il, c’est ma destinée qui me cherche; essaie à ton tour de soulever le couvercle. » Ilia essaya et ne put. « Ilia, prends mon glaive trempé dans l’eau de puits et frappe le couvercle par le travers; » mais le Mouromien n’était pas de force à soulever le glaive de Sviatogor. « Penche-toi sur le tombeau, reprend le géant; par cette fente, je te soufflerai mon souffle héroïque. » Ilia obéit, et tout à coup se sent trois fois plus de force qu’à l’ordinaire. Il soulève le glaive et en frappe le tombeau par le travers. Sous la violence du coup, des étincelles jaillirent ; mais où