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vivent en troupeaux. Au Laos, au Cambodge et dans le Siam, on les chasse pour leur ivoire et pour les domestiquer. En Cochinchine, chez les sauvages et en quelques points des pays précédens, on les chasse aussi, mais uniquement pour les détruire, car ils causent de grands ravages dans les champs de riz. Les villages annamites situés sur la lisière des forêts ont des chasseurs attitrés dont l’unique occupation est de suivre les troupeaux afin de tâcher de les détruire. En outre de l’ivoire que recueillent ces chasseurs, ils reçoivent pour chaque animal tué une prime qui leur est offerte par cotisation. » Des témoignages plus récens confirment celui de M. Garnier pour des parties de la Cochinchine qu’il n’avait pas visitées. M. le capitaine Senez, commandant l’aviso le Bourayne, dans son rapport sur l’exploration des côtes de la Cochinchine et du golfe du Tonkin, affirme que les éléphans abondent dans la partie est de l’Annam : « à 4 milles du cap Pandaran (golfe de Tonkin), ils sont tellement nombreux que chaque jour, à la nuit tombante, ils viennent en troupes autour des villages prendre leurs ébats et chercher pâture. »

C’est donc principalement dans le dessein de préserver les plantations et les potagers qu’on chasse l’éléphant en Cochinchine. Quand les animaux tués ont des défenses, on en vend l’ivoire. On sait que chez les éléphans d’Asie les mâles presque seuls ont des défenses et que celles-ci n’atteignent pas le même développement qu’en Afrique. Cet ivoire va en Chine. D’autres parties du corps de l’éléphant font l’objet d’un commerce avec le même pays. « La peau découpée en lanières séchées ensuite au soleil, dit M. Garnier, est emportée en Chine pour fabriquer ces mets gélatineux que recherchent tant les Chinois. La plupart de ses os sont aussi recueillis pour être expédiés dans le même pays, où l’on s’en sert pour différens usages, en particulier pour fabriquer des boites de fantaisie de toute espèce. »

La plupart des éléphans domestiques qu’on voit en Cochinchine sont des éléphans sauvages qu’on a pris en les attirant, à l’aide d’éléphans apprivoisés, dans des parcs construits exprès dans les régions forestières où ils vivent. Les autres sont nés d’éléphans domestiques qui se reproduisent, quoi qu’on en ait dit, très facilement dans cette condition. Les éléphans domestiques sont bien moins nombreux en Cochinchine que dans l’Inde, et on est loin d’en tirer le même parti ; aussi M. Francis Garnier, qui juge l’éléphant par ce qu’il a vu en Cochinchine, n’apprécie pas à leur juste valeur les services qu’ils peuvent rendre. Ainsi il assure qu’il « n’est guère possible à plus de deux personnes de se tenir dans la cage qu’on adapte sur son dos, et que, pour s’y trouver bien, il faut y être seul. » On s’explique l’opinion de M. Garnier à voir la cage étroite et mal équilibrée que portent les éléphans dans les gravures de son