Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une ou deux batteries de pièces de 18 ou de 24 attelées d’éléphans? L’organisation en serait aisée et peu coûteuse, grâce aux facilités que nous présentent nos possessions coloniales. La France peut se procurer des éléphans au Sénégal ou en Cochinchine. Laissons pourtant le Sénégal de côté : les éléphans y ont été refoulés dans l’intérieur par suite de la chasse à l’ivoire[1]; de plus, l’art de prendre vivans et de dresser les éléphans étant inconnu en Afrique, il faudrait organiser ce service de toutes pièces. Il n’en est pas de même en Cochinchine. Les éléphans y sont nombreux; Ritter, dans sa Géographie de l’Asie, vantait la beauté et la force de l’espèce cochinchinoise. « Tandis qu’en Cochinchine le cheval est petit et débile, l’éléphant se montre ici dans sa perfection et dans sa beauté comme dans l’est du Bengale. Dans les forêts du Cambodge, il vit en très grand nombre et appartient à la plus belle espèce. » C’est le témoignage de tous les voyageurs. A l’époque où écrivait Ritter, c’est-à-dire il y a quarante ans, le prix d’un éléphant était de 40 à 50 quans, monnaie qui vaut, dit-il, les deux tiers d’un dollar espagnol, soit environ 3 francs 75 cent.[2]. Cela met le prix de l’éléphant entre 150 et 200 francs. En Cochinchine, comme dans l’Inde, l’art de dresser l’éléphant a été pratiqué dès la plus haute antiquité. C’est par la Cochinchine que la Chine a connu les éléphans, et au XIIIe siècle de notre ère la Cochinchine livrait, en forme de tribut, des éléphans aux empereurs mongols de la Chine. Les souverains indigènes de l’Indo-Chine, comme ceux de l’Inde, emploient les éléphans à rehausser l’éclat de leurs fêtes.

Le seul cas à notre connaissance où les Français se soient servis d’éléphans depuis leur établissement en Cochinchine est le voyage d’exploration entrepris par le capitaine de Lagrée et le lieutenant Francis Garnier. M. de Lagrée, dans plusieurs excursions à travers des régions où les routes de chariot manquent, eut recours aux éléphans, et l’expédition en employa jusqu’à quinze en une fois. Dans l’ouvrage qui renferme le récit de cette expédition[3], Francis Garnier donne sur les éléphans de Cochinchine d’intéressans détails. « L’éléphant sauvage, dit-il, est très commun dans toutes les parties tropicales de l’Indo-Chine; il est surtout très abondant dans la partie moyenne, où existent de grandes plaines herbeuses et d’immenses forêts-clairières entremêlées de petites montagnes. Les éléphans

  1. « L’éléphant est rare et ne descend vers le fleuve que lorsqu’il a été chassé des grands bois qui lui servent de retraite dans le Haut-Sénégal ou la Gambie. On en tue auprès de Dagana. On en a même vu descendre jusqu’à Sor, à l’entrée du fleuve. » Croisière à la côte d’Afrique, par le vice-amiral Fleuriot de Langle.
  2. Aujourd’hui le quan ne correspond plus guère qu’à 1 franc de notre monnaie, à ce que m’apprend un savant versé dans les langues de la Cochinchine.
  3. Exploration de l’Indo-Chine, 1872.