Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mêmes conditions « prospérité, sécurité, grandeur, et tout le cortège de libertés fécondes ! » M. le comte de Chambord se montre bien sévère lorsqu’il dit que pour être compris il avait compté « sur l’intelligence proverbiale de notre race et sur la clarté de notre langue. » S’il veut parler de ses amis, il est certain que depuis quelque temps les légitimistes ne s’emploient pas précisément à faire briller la « clarté de notre langue, » avec leurs subtilités, en s’ingéniant à prouver que sept ans ne sont pas sept ans, que constituer un pouvoir d’une durée déterminée, cela signifie qu’on peut remplacer ce pouvoir lorsqu’on le veut. Quant à « l’intelligence proverbiale de notre race, » elle n’est peut-être pas tellement en défaut. Si elle s’est montrée dès le premier jour assez défiante, plus défiante en vérité qu’hostile, si elle a résisté instinctivement à la séduction des programmes de restauration royale, c’est qu’elle a pressenti des choses auxquelles elle ne pouvait se rendre. Elle a deviné qu’il devait y avoir des malentendus, que cette monarchie traditionnelle à laquelle on la conviait, qu’elle ne repoussait pas systématiquement, n’avait pas comme elle le culte d’un drapeau consacré par le malheur, la conscience de cet ensemble d’idées, d’intérêts, d’instincts, qui sont l’essence de la société moderne. Elle a vu, à travers les promesses qu’on lui faisait, des restrictions de souveraineté nationale et de liberté qui s’avouent plus que jamais aujourd’hui, et qui n’étaient certes pas de nature à préparer le succès de la tentative qu’on a cru pouvoir renouveler.

Lettre du 27 octobre 1873 et proclamation du 2 juillet 1874, voilà, sous une double forme, le testament d’une cause. Le manifeste de M. le comte de Chambord et la proposition de M. le duc de Bisaccia n’auront réussi qu’à mettre la légitimité hors de combat, en précipitant une solution, en contraignant l’assemblée et le gouvernement à serrer la question de plus près, à prendre un parti. Le gouvernement, quant à lui, n’a point hésité; il a commencé par suspendre un journal légitimiste qui contestait perpétuellement, hardiment, son caractère, et qui venait de publier le manifeste de M. le comte de Chambord comme une sanction suprême et éclatante de ses polémiques. C’était une affirmation d’autorité répondant à une agression systématique et permanente, atteignant à la fois le journal et presque le prince. De là l’émotion des légitimistes et cette escarmouche parlementaire engagée en apparence à propos de l’acte de rigueur du ministère, provoquée en réalité par toute une situation. M. Lucien Brun, le porte-parole de la légitimité et le promoteur de l’interpellation, a pu ne point manquer d’une certaine habileté en essayant de déplacer le débat, de le réduire à une simple affaire ministérielle. Il espérait sans doute intéresser la dignité de l’assemblée et piquer son amour-propre en accusant le ministère, le ministère seul, d’avoir usurpé un droit qui n’appartient qu’au pouvoir souverain,