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d’Italie et secondant une pensée généreuse de son ami Parlatore, voulut-il que le pays de Césalpin et de Micheli, condamné presqu’à tourner dans le cercle étroit d’études botaniques locales, trouvât dans ces riches collections un premier fondement pour des études plus larges : pensée heureuse et bien vite réalisée, car, à côté de cette salle, où la mémoire de Webb est consacrée, d’autres salles ouvrent aux travailleurs un herbier général déjà très vaste, un musée économique de produits utiles, établi sur le modèle de Kew, le tout d’une installation commode, élégante sans luxe, engageant au travail par la facilité d’avoir sous la main et les plantes et les livres[1].

N’envions pas à une nation amie les avantages qu’elle sait se donner en vue de son avenir scientifique : tout ce qui se sème dans ce sens fructifie un jour au bénéfice de la science générale; mais profitons de l’exemple des nations qui marchent pour sortir un peu de la contemplation satisfaite de nous-mêmes. Faute de quelques milliers de francs, la France a laissé acheter par l’Angleterre l’herbier de Jacques Gay, fruit de cinquante ans de recherches assidues. Voyant si peu de place dans les galeries encombrées du Muséum, les Delessert ont donné à Genève l’immense herbier où deux générations ont puisé tant de sujets d’étude. Qu’importe, diront peut-être quelques détracteurs des sciences qui ne sont pas expérimentales, qu’importent des momies de plantes à décrire ou à disséquer! Ceux qui parlent ainsi n’ont jamais su quelle importance ont dans les sciences naturelles des collections qui servent de base aux travaux monographiques, seul fondement de toute généralisation sérieuse. D’ailleurs cette perte de nos ressources dans une science isolée est moins grave en elle-même que comme symptôme d’un mal plus profond : l’illusion que notre supériorité naturelle peut se passer des moyens matériels de recherche. En attendant, les autres progressent, et, pendant que nous dissertons sur la valeur souveraine du thème grec ou du vers latin, nous oublions que dans ce monde le prix est non pas à ceux qui parlent, mais à ceux qui savent agir.


J.-E. PLANCHON.

  1. Il n’est que juste de rappeler que ce beau musée botanique de Florence a été fondé, sur les conseils de M. Parlatore, par les libéralités du dernier grand-duc de Toscane, Léopold II. Cette justice, des patriotes italiens, le docteur Bubani et le professeur Cesati, ont su la rendre à l’ancien souverain de la Toscane en rappelant au congrès que, persécutés jadis pour leurs opinions politiques, ils avaient néanmoins trouvé dans ce prince un protecteur éclairé de leurs études. On est heureux de voir de tels témoignages se dégager du milieu des conflits des partis, et faire de la reconnaissance un devoir supérieur aux mobilités de l’opinion.