Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous tenez à mourir, malheureux !

— J’y tiens depuis que j’ai goûté de la vie réelle. Jusqu’à hier, je rêvais assez agréablement, il faut l’avouer. On m’a réveillé. C’est fini. J’en ai assez !

Max prononça ces mots avec une dureté farouche.

— Vous n’êtes pas de sang-froid ! s’écria M. Vernon.

Pour toute réponse, le jeune homme lui tendit le bras. — Voyez plutôt, dit-il, si j’ai une pulsation de plus. Nous perdons beaucoup de temps. Acceptez-vous de voir M. de Lora et d’être mon témoin ?

— Écoutez, dit M. Vernon avec une émotion profonde, vous me demandez la seule chose que je ne puisse faire. Il vous refusera réparation… C’est son droit, ne m’interrompez pas,… bien des gens même ici affirmeront que c’est son devoir. Je ne veux pas essuyer une réponse offensante qui cette fois s’adresserait directement à moi, votre mandataire.

— Soit ! dit le jeune homme après un moment de réflexion. Je dois agir seul.

— Max !

Il s’était élancé hors de la vérandah avant qu’on pût le retenir. M. Vernon courut après lui, mais le tumulte des rues lui déroba sa trace, il ne le rejoignit pas. Max cependant se dirigeait quelque peu au hasard vers une maison qu’il s’était fait indiquer et qui par son importance était facile à reconnaître. Devant lui, la grande cité du sud étincelait comme une reine dans sa splendeur nocturne. Le miroir du fleuve qui apportait en tribut à ses pieds les richesses d’un commerce immense reflétait son diadème de feu, les illuminations d’une ville de luxe et de plaisir où l’opulence matérielle sous ses formes multiples recouvrit si longtemps d’un manteau d’or des misères sociales que l’œil le plus clairvoyant eût pu croire absentes, tant elles étaient cachées. Défiant tout cet éclat terrestre, la coupole du ciel, sombre et transparente à la fois, se pailletait de diamans innombrables, à des profondeurs infinies. Après s’être égaré plusieurs fois, Max fit halte devant une ancienne et aristocratique demeure dont la cour intérieure était grande ouverte aux voitures. Des ombres gracieuses de femmes parées glissaient sur la galerie extérieure, les rideaux légers permettaient en s’écartant d’assister aux préparatifs d’un bal. Déjà la première valse s’envolait dans l’air saturé du parfum des orangers. — Peut-être est-elle là ! pensa Max. — Mais ce n’était point Lili qu’il venait chercher.

Il entra, dit quelques mots à l’un des serviteurs groupés devant la porte et attendit ; l’homme, après quelques minutes, revint répondre que ses maîtres, donnant une fête, ne pouvaient recevoir ce soir-là que leurs invités.