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de couleur. C’est la plebs romana, la foule des cliens qui portent avec ostentation le titre de citoyens, et n’en exercent les droits que pour servir aveuglément les grands propriétaires, véritables maîtres du pays. Si l’esclavage n’existait pas à côté d’eux, ils seraient ouvriers et laboureurs, ils deviendraient fermiers et petits propriétaires; mais plus leur pauvreté les rapproche de la classe inférieure des esclaves, plus ils tiennent à s’en séparer, et repoussent le travail pour mieux mettre en relief leur qualité d’hommes libres. Cette population déclassée, misérable et remuante, fournissait à la politique du sud l’avant-garde batailleuse qui précédait l’invasion dans l’ouest du planteur avec ses esclaves. Au commencement de la guerre, le nord crut qu’elle se prononcerait en sa faveur contre l’institution servile, dont elle aurait dû détester la ruineuse concurrence ; mais il se trompa en pensant que la raison l’emporterait chez elle sur la passion. Elle lui prouva au contraire qu’elle était ardemment dévouée au maintien de l’esclavage. Son orgueil y était encore plus intéressé que celui des grands propriétaires, car, tandis que ceux-ci étaient toujours assurés de rester bien au-dessus des nègres affranchis, elle craignait d’être avilie par leur émancipation, qui les élèverait jusqu’à son niveau.

Cette division en classes facilita l’organisation des forces du sud. Chacune d’elles avait son rôle tout tracé, et le passage de l’état de paix à celui de guerre se fit avec si peu d’efforts que cette facilité même fut une dangereuse tentation qui contribua à entraîner le sud dans la voie fatale où il devait trouver la défaite et la ruine.

Les nègres restèrent naturellement attachés à la terre, et en continuant leurs labeurs forcés ils épargnaient à la production agricole du sud le trouble profond que les préparatifs de la guerre infligèrent à celle du nord, et soutenaient ainsi la cause de ceux qui rivaient leurs chaînes. Tandis que dans le nord tout soldat qui prenait l’uniforme quittait une occupation utile à la société, la population vraiment productrice ne cessa pas un instant dans le sud de subvenir aux communs besoins.

Les petits-blancs, qui, condamnés à l’oisiveté par leur situation sociale, n’avaient jamais contribué à la richesse nationale dans une mesure proportionnée à leur nombre, échangèrent volontiers les loisirs de leur pauvreté contre les occupations de la vie militaire. Ils furent l’élément principal des armées du sud. Inutiles et dangereux dans une société bien organisée, ils étaient parfaitement préparés à ce rôle nouveau. Habitués aux privations d’une existence mal assurée, exercés dès l’enfance à l’usage des armes, qui étaient pour eux un signe de noblesse, ardens à défendre les privilèges et la supériorité de leur race, ils ne pouvaient manquer de faire de