Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne quittait pas des yeux certaine loge au bord de laquelle s’inclinait une jeune fille semblable à une rose blanche au milieu des nuages de mousseline qui l’enveloppaient; elle paraissait avoir seize ou dix-sept ans, et était plus frêle que la plupart des précoces beautés épanouies alentour; son teint plus transparent rappelait davantage aussi celui des pays septentrionaux, et le pur ovale de son visage presque enfantin exprimait une candeur que les grâces d’une coquetterie langoureuse remplacent trop vite d’ordinaire chez les ensorcelantes Louisianaises. Celle-ci ne songeait pas à séduire, elle aimait, elle se sentait aimée. Ses grands yeux, attirés par une volonté fascinatrice vers un point unique de la salle, exprimaient l’effroi pudique et ravi de l’innocence que trouble un premier rêve. La musique passionnée, le poème mélancolique, faisaient partie de ce rêve, tout cela n’était que l’écho des sentimens jusqu’alors inconnus qui palpitaient au plus profond d’elle-même et qui pendant le duo d’amour du premier acte avaient fait monter à ses joues de fugitives rougeurs, qui maintenant, en présence de Lucie. arrachée pour jamais à son amant par une fatalité douloureuse, faisaient couler, jusque sur le bouquet de jasmin dont elle se servait pour cacher son trouble, ces belles larmes de la jeunesse qui n’ont aucune source égoïste ou amère.

— Mlle Hamlin est délicate, mais bien jolie, dit Mlle Vernon, à l’observation de qui rien n’échappait; vous la connaissez, monsieur Max?

— Nous avons voyagé à bord du même paquebot, — répliqua le jeune homme avec une affectation subite de froideur. En se détournant pour répondre, il avait promené un premier regard sur les différens étages de la salle, et la singulière tenue d’un grand nombre de spectateurs le frappa. — Qu’arrive-t-il donc? — demanda-t-il penché dehors pour découvrir ce qui pouvait faire tort à l’artiste, qui se surpassait au moment même. De plus en plus la loge où il se trouvait préoccupait les loges voisines, on eût dit qu’un murmure circulât de bouche en bouche; plusieurs personnes sortaient à grand fracas comme pour protester contre une inconvenance; l’une d’elles s’était écriée en frappant la porte : — Quelle audace! — d’un ton qui avait fait tressaillir tout le parterre et provoqué des chuts énergiques.

Ou le jeune homme ignorait absolument la cause du scandale, ou il était en effet d’une audace insigne. A peine avait-il eu le temps d’interroger son voisin, qu’un ami de ce dernier, l’avocat Metman, entra brusquement et dit : — Venez vite, j’ai à vous parler.

M. Vernon, assez ému, le suivit dans le couloir.

— Vous voyez, reprit l’avocat, le résultat de votre inconcevable imprudence. S’il ne prend le parti de quitter la place, on pourra bien se porter à une manifestation injurieuse pour lui et pour vous.