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que c’était une valeur idéale indépendante de la monnaie métallique destinée à la représenter. On ajoutait qu’on ne pouvait pas savoir s’il y avait dépréciation, attendu que les bank-notes n’avaient jamais eu d’autre valeur que celle qui leur était attribuée par la confiance du public, et que cette confiance était encore entière. Voilà où l’on en était en 1810 en Angleterre dans les régions les plus élevées du gouvernement, et, je le répète, parmi les administrateurs de la banque principale elle-même, car il y en eut plusieurs qui défendirent ces théories : on niait la dépréciation, et on ne voyait dans l’état des choses aucun motif pour restreindre la circulation fiduciaire. Il est vrai que ces idées ne furent point partagées par la majorité de la commission qui fît l’enquête. Celle-ci rédigea au contraire dans un sens entièrement opposé un excellent rapport qui est devenu célèbre sous le nom de Bullion’s report. Elle reconnut la réalité de la dépréciation, déclara qu’elle était la cause de l’élévation de tous les prix, de l’émigration de l’or, et qu’il était du devoir de la Banque d’Angleterre de se guider sur le change avec le dehors pour augmenter ou restreindre la circulation fiduciaire ; mais ces conclusions, soumises au parlement, ne furent pas adoptées ; on prétendit de nouveau que l’abondance de l’émission était sans influence sur le prix des choses et sur le taux du change, et que les bank-notes avaient conservé leur valeur. Robert Peel, qui devait faire plus tard l’acte de 1841, fut de cet avis et vota avec la majorité pour condamner les principes du Bullion’s report.

On pourrait croire qu’aujourd’hui, en 1874, on est plus avancé, et que personne ne se fait plus illusion sur le danger qu’il y a d’augmenter la circulation fiduciaire, et surtout qu’on ne se méprend plus sur la dépréciation dont elle est l’objet lorsque l’or fait prime. Il n’en est rien : des hommes très autorisés dans le monde financier nient encore les inconvéniens du cours forcé et s’inquiètent peu de la dépréciation possible des billets de banque ; on pourrait même, si on le voulait, trouver une certaine analogie entre ce qui se passe chez nous en ce moment et ce qui a eu lieu en Angleterre en 1810. De même que nos voisins, nous avons eu en 1865 notre enquête sur la circulation fiduciaire ; les thèses les plus étranges furent également professées devant la commission qui la dirigeait par des banquiers, des commerçans et même des économistes. Cette commission eut le bon sens aussi d’en faire justice, et d’adopter un certain nombre de résolutions très rationnelles ; mais, si ces résolutions ne furent pas condamnées par le parlement comme en Angleterre, elles n’eurent pas un meilleur sort devant le public, et ne parvinrent pas à faire la lumière. Il est vrai que le rapport très concluant qui fut rédigé par M. de Lavenay, alors conseiller d’état, n’eut pas toute la publicité qu’il aurait dû avoir, et quand on vint en 1871, à propos