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rien faire. » En d’autres termes, il faut rentrer et attendre, d’autant plus que le temps est bien mauvais et que la journée s’avance.

C’était évidemment la pensée de Bazaine, qui semblait chercher dans les raisons exposées par Soleille et Coffinières, comme dans un certain acquiescement des autres généraux, un prétexte pour se décider ; mais, en paraissant vouloir associer ses lieutenans à une résolution si grave, avait-il le soin de leur soumettre tous les élémens de la situation, de leur communiquer ce qu’il savait du dehors ? S’il n’avait pas reçu dès le 23 une dépêche dont un des officiers les plus sérieux de son état-major et de l’armée, le colonel Lewal, a toujours attesté l’existence et l’arrivée, s’il n’avait pas encore cette dépêche annonçant le mouvement de l’armée de Châlons sur la Meuse, il avait d’autres dépêches. Il savait qu’une armée se formait réellement à Châlons, qu’elle se proposait de lui porter secours. Il avait les dépêches qu’il avait lui-même expédiées, par lesquelles il annonçait l’intention de sortir par la ligne du nord, donnant ainsi rendez-vous au maréchal de Mac-Mahon. De tout cela, pas un mot n’était dit, de sorte que voilà des chefs militaires ayant à se prononcer sur des assertions qu’ils ne peuvent contrôler, sans être mis au courant de ce qui les intéresserait le plus. C’est le témoignage de Canrobert. « Si le maréchal Bazaine nous avait dit : Mac-Mahon vient au-devant de nous, nous lui aurions répondu : Allons, coûte que coûte, à sa rencontre. » Bazaine s’était tu, et c’est ainsi que du conseil de Grimont sortait cette résolution de reprendre les positions de la veille, après une démonstration sans but, inutilement pénible, décourageante pour les troupes. Cette résolution a son commentaire dans ce mot de l’état-major prussien : et on laissa passer ainsi le moment favorable pour percer, et on donna à l’armée allemande le temps de se renforcer de plus en plus dans ses positions. »

A la vérité, dans la pensée des chefs de corps qui venaient de se rencontrer au château de Grimont, il ne s’agissait que d’une halte de quelques jours profitable à l’armée, aux défenses de Metz, à la réorganisation des forces militaires de la France, et pendant cette halte on n’entendait pas rester au repos, on se promettait de harceler l’ennemi, de « donner des coups de griffes partout et incessamment. » Le maréchal Bazaine lui-même admettait ou semblait admettre cette idée ; au fond, il interprétait bien dangereusement cette délibération de Grimont et il la traduisait d’une façon aussi grave que singulière dans cette dépêche qu’il adressait aussitôt, le soir du 26, au ministre de la guerre : « Toujours sous Metz, avec munitions d’artillerie pour un combat seulement. Impossible de forcer les lignes ennemies dans ces conditions… Agirai efficacement, si mouvement offensif à l’intérieur force l’ennemi à battre en retraite… » Se