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fait, la question est tout autre. On ne parle ici que du cas où la conscience est éclairée d’une façon incomplète sans qu’on puisse lui imputer ce défaut de lumière. Eh bien ! comment reprocher à l’homme d’avoir obéi à sa conscience? C’est ébranler le fondement même de la loi morale. Les grands théologiens ont toujours dit que l’ignorance invincible excuse le pécheur. Saint Thomas d’Aquin va plus loin encore; il affirme que l’homme se rend coupable devant Dieu en désobéissant à sa conscience erronée, toujours, bien entendu, dans le cas d’ignorance invincible. Eh bien ! les jansénistes, dans l’exaltation de leur foi, voulaient que l’homme fût jugé non pas sur la loi telle qu’elle nous est connue, mais sur la loi telle qu’elle existe. S’ils s’étaient bornés à dire qu’aux yeux de celui qui voit tout l’ignorance réputée invincible n’a pas toujours droit à cette excuse, ils eussent parlé en moralistes pratiques, et nul esprit sensé ne se serait avisé de les trouver en faute. Par malheur, ce n’étaient pas seulement les directeurs pratiques, c’étaient les moralistes dogmatiques, c’étaient les théologiens ex professo, qui, de peur d’affaiblir la doctrine chrétienne, en faisaient une loi de terreur. Prétendre que l’homme soit jugé non d’après l’état de sa conscience, mais eu égard à la vérité absolue, exiger que l’homme obéisse, sous peine de mort, à une règle qu’il ne connaît point, quelle législation est plus inique, quelle terreur plus odieuse que celle-là? « Nous pensons donc, dit M. Janet, que les jésuites étaient dans le vrai humain et philosophique lorsqu’ils soutenaient contre les jansénistes que l’agent moral n’est responsable que dans la mesure de ce qu’il connaît, et ainsi la première des deux premières propositions condamnées par Nicole n’est qu’une application très légitime du principe général : nul ne peut obéir qu’à sa propre conscience. »

En est-il de même de la seconde? Les probabilistes ont-ils raison de dire qu’entre deux opinions probables il est permis de choisir la moins probable et la moins sûre? C’est ici que les jansénistes reprennent un certain avantage contre leurs adversaires, sans cesser pourtant de s’exposer eux-mêmes au reproche de rigorisme. L’opinion sûre opposée à l’opinion probable est celle qui, restreignant davantage la liberté, fait une part d’autant moins grande à la responsabilité de l’agent moral. Ainsi plus une opinion est sévère, exigeante, restrictive, plus elle est sûre. De deux opinions également probables, par conséquent également admissibles pour une conscience droite, il se peut que l’une soit plus sûre, c’est-à-dire que l’homme ayant renoncé volontairement à une portion de sa liberté naturelle soit par cela même assuré de moins faillir. S’ensuit-il que cette opinion plus sûre constitue dès lors une obligation ? C’est ce que disaient bien à tort les jansénistes du XVIIe siècle. M. Janet remarque très ingénieusement à ce propos que les jansénistes ne sont