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produite avec tant de conviction et d’autorité, qu’à toutes les lignes de cette belle page, en réponse aux négations matérialistes, on entend retentir le cri de l’Évangile : ecce homo.

Ce n’est pas seulement la discussion des grands principes qui fait l’intérêt du livre de M. Paul Janet; une des parties les plus neuves et les plus animées de l’ouvrage est consacrée à une science fort ignorée de nos jours et que nos pères appelaient la casuistique. Une sagesse vulgaire et expéditive a pu dire à nos contemporains : la morale n’a que faire de la casuistique, c’est à la conscience à se décider dans tous les cas particuliers. M. Janet, nous le savons d’avance, n’est pas homme à traiter si grossièrement des matières si délicates. Simplifier, en beaucoup de choses, c’est une méthode excellente; simplifier, en morale, c’est se contenter de l’à-peu-près. Un esprit tel que le sien a besoin de se rendre compte de tous les motifs et de peser autant que possible la valeur de toutes les actions. De là les belles pages sur les conflits des devoirs. De là aussi l’examen si neuf, si lumineux, de cette question du probabilisme, qui agita l’église et la société du XVIIe siècle. Le probabilisme moral, enseigné surtout par les jésuites et attaqué par les jansénistes, pouvait être ramené aux deux propositions suivantes : 1° toute opinion probable, quoique fausse et contraire à la loi divine, excuse du péché devant Dieu ; — 2° de deux opinions probables, il est permis d’embrasser la moins probable et la moins sûre. M. Paul Janet examine tour à tour ces deux propositions, et, démêlant le vrai et le faux, il donne raison tour à tour aux jésuites et aux jansénistes. C’est à la fois une discussion philosophique des plus pénétrantes et un jugement historique sans appel. On a écrit des volumes sur cette dispute de l’ancienne théologie, on a tant écrit, tant subtilisé, tant bataillé, que M. Sainte-Beuve lui-même, malgré sa curiosité d’esprit, a eu peur de s’engager dans la mêlée. L’historien de Port-Royal a laissé la question entière. On peut dire aujourd’hui, grâce à M. Paul Janet, que la cause est entendue et que la sentence est définitive.

Qu’est-ce donc qu’une opinion probable comme l’entendent les théologiens du XVIIe siècle? Une opinion qui réunit un certain nombre de raisons en sa faveur, mieux encore, une opinion qui se présente à notre conscience appuyée de plus de raisons que l’opinion contraire. On conçoit que, l’infirmité humaine étant ce qu’elle est, cette opinion, plausible au jugement de telle ou telle conscience, puisse ne pas être conforme à la loi divine. La question est de savoir si l’homme est excusable devant Dieu en obéissant à sa conscience erronée. Le bon sens répond affirmativement; la philosophie morale la plus attentive, la théologie chrétienne la plus profonde, confirment par leurs analyses cette décision du sens commun. Assurément l’homme est tenu d’éclairer sa conscience, et s’il ne l’a pas