Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de dire, dans les termes les plus vifs, à quel point il apprécie la bonté du roi. »


Je reproduis ici textuellement la lettre particulière du roi Louis-Philippe à laquelle les deux ministres anglais font allusion; elle montrera combien les sentimens qu’ils expriment étaient réciproques.


« Saint-Cloud, 14 décembre 1845.

« Mon cher Philippe, je vous remercie bien de vos deux lettres et des informations que j’y ai trouvées.

« Je vous prie d’être mon interprète auprès de votre oncle, le duc de Leinster, et de lui dire que j’ai été bien sensible aux expressions de la lettre que vous m’avez transmise de sa part.

« Mais j’ai à vous charger d’un autre message dont pourtant j’ai déjà chargé M. Guizot, mais que je désire répéter par toutes les voies possibles parce qu’il part à la fois de mon cœur et de toutes mes convictions mentales. C’est de témoigner à sir Robert Peel et à lord Aberdeen combien je suis affligé de leur sortie du ministère, et que je le suis d’autant plus que je m’étais flatté de l’espérance de voir leur ministère concourir encore longtemps avec le mien à entretenir et à perpétuer cette entente cordiale qu’ils ont si efficacement contribué à fonder et qui a été si bien cimentée par les relations et les affections personnelles qu’elle nous a permis d’établir. J’ai la confiance, et j’ai besoin d’avoir cette confiance, que ces sentimens seront conservés, quelles que puissent être les imprévoyables fluctuations de l’avenir. Ils seront toujours un puissant moyen de réparer les mauvaises chances que nous n’aurions pas eu le bonheur de prévenir.

« Dites bien à lord Aberdeen que je lui conserverai toujours les sentimens que je lui ai voués au château d’Eu, et que je serai toujours empressé de lui témoigner que rien ne saurait jamais les effacer. Comptez toujours, mon cher Philippe, sur tous ceux que je vous porte,

(Paraphée.) « L.-P. »


La tâche qu’avait entreprise lord John Russell n’était point facile,

mais son courage suffisait à toutes les entreprises. « Si l’on proposait à Johnny[1], avait dit le plaisant Sidney Smith, de se charger du commandement de l’escadre de la Manche ou d’une opération

  1. Rien dans nos mœurs ne saurait donner une idée du dévoûment dont l’Angleterre entoure ses principaux hommes d’état. Chez elle, l’ostracisme est inconnu. Quelles que soient les violences de l’esprit de parti et la sévérité des jugemens du public sur tel acte ou sur telle conduite, ces animadversions passagères influent rarement sur les classes populaires, qui s’habituent à distinguer les illustrations politiques dont elles sont justement fières par des sobriquets affectueux. Tantôt c’est le nom de baptême, tantôt c’est le nom de famille qui est diminué ou corrompu. Ainsi d’une part William Pitt est devenu Billy, lord John Russell Johnny, sir Robert Peel Bobby ou Bob; — d’autre part, lord Palmerston Pam, M. Disraeli Dizzy, et, une fois popularisées, ces désignations sont d’un usage universel.