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travail que le bonheur de vous servir me rend agréable et facile. »

Les invitations pleuvaient sur lui[1], les visiteurs le pourchassaient, et, tout en maugréant beaucoup contre les tribulations de la célébrité, il s’arrangeait de manière à se les attirer. C’est ainsi que dans ses tournées apostoliques et autres il ne manquait jamais de s’arrêter à Vérone pour fraterniser avec de jeunes et fervens disciples, parmi lesquels figurait Pietro Alighieri, le fils de Dante.

Des amis, où n’en avait-il pas ? Sa gloire passionnait la jeunesse. Quelle mélancolique histoire, celle de ce Florentin, son élève, qui le chérissait au point de ne vouloir plus le quitter ! D’une race illustre, aimable, affectueux et charmant, tout génie et tout flamme pour la poésie, Franceschini de gli Albizzi, venu à Avignon en 1345, s’était fait présenter à Pétrarque. L’art des vers les réunit : pendant deux ans, l’élève profita délicieusement des leçons du maître, qui de son côté ouvrit son âme aux grâces attendries de cette attrayante nature ; ils vivaient comme ne devant jamais se séparer, lorsque, sur l’ordre de ses parens, le jeune Florentin eut à continuer son voyage d’éducation. Quiconque avait des goûts intellectuels ne pouvait déjà dès cette époque ne pas avoir visité Paris. À cette impérieuse mode, les Brunetto Latini, les Dante, les Boccace, avaient obéi, et Pétrarque n’était point homme à détourner son cher disciple d’un pèlerinage dont lui-même s’honorait d’être revenu fortifié. Franceschini céda ; mais en partant il promit à Pétrarque d’être bientôt de retour, et, dans le cas où celui-ci quitterait Avignon, d’aller le rejoindre partout ailleurs. Il tint parole ; à son retour dans Avignon, le trouvant absent, il file aussitôt sur Parme. Pétrarque, informé à l’instant, n’en vivait pas d’impatience. « Je l’attends tous les jours, il m’écrit de Marseille, où il vient d’arriver en bonne santé. » Plein de confiance et tout à son émotion, il compte les heures, les minutes, à la moindre alerte quitte ses livres et sa plume prêt à s’élancer à sa rencontre. Hélas ! les deux amis ne devaient plus se revoir. Parti radieux d’Avignon, bien portant encore à Marseille, le jeune Albizzi meurt à Savone en quelques heures victime du fléau régnant, car nous sommes en 1347, et la peste empoisonne l’Europe.

Des marchands génois et catalans, revenant de Syrie, l’ont débarquée en Sicile dans leurs ballots, et depuis elle marche, voyage, sûre, fatale, d’autant plus inévitable qu’elle est sans itinéraire. Le choléra suit le cours des fleuves, s’oriente, la peste est une aveugle qui dit simplement à l’humanité : Conduis-moi, et l’humanité, qui s’agite, la mène. Hommes, femmes, enfans, lui font la chaîne, et se

  1. « Principes Italiæ viribus et precibus me retinere tentarunt, et abeuntem dolueunt et absentem avidissime præstolantur. » Fam., I, 14.