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« Rienzi était une manière d’enthousiaste avec une mémoire prodigieuse, une imagination délirante et des idées sublimes et fantasques. L’enflure de son style et son éloquence déclamatoire lui servaient à passionner la multitude ; mais il n’agissait que par boutades et n’avait rien de cette fermeté d’esprit, de cette fixité qu’exigent les grandes entreprises. » Ainsi raisonne, et très judicieusement selon moi, le chroniqueur latin des gestes du fameux tribun dont les affaires étaient d’ailleurs en train de très mal tourner. Les hauts barons le tenaient assiégé dans Rome, et, pour les repousser, il fallait obtenir du peuple des efforts surhumains. À la vérité, ces foudres d’éloquence ne sont jamais pris au dépourvu, et leur parole quelquefois vaut une armée. Celui-ci par exemple use en maître de l’expédient, et les moyens qu’il emploie sont des plus intéressans pour l’étude des mœurs. Orsini et les Colonna, campés sous Rome, vont tenter l’assaut ; Rienzi rassemble son peuple et lui parle. « Apprenez, s’écrie-t-il, que le fils d’un tribun de Rome, saint Martin, m’est apparu cette nuit et qu’il m’a dit que vous battriez les ennemis de Dieu. » La comédie ayant eu pleine réussite, on la renouvelle aussitôt avec la même effronterie et le même succès. Éveillé dès le matin par le beffroi de la capitale, le peuple accourt en armes au palais de son tribun. « Réjouissez-vous, prêche l’imposteur, encore cette fois vous aurez la victoire : je viens de recevoir un nouveau gage ; cette nuit, c’est le pape Boniface qui s’est montré, m’annonçant que nous étions au moment de tirer ample vengeance des Colonna qui n’ont cessé de l’insulter, lui et son église. Le champ sur lequel vos ennemis ont dormi cette nuit s’appelle le champ du sépulcre : mauvais présage pour eux ! Que ce champ de bataille devienne donc aujourd’hui leur tombeau ! » Grâce à la bénévole intervention de tant de saints pontifes évoqués au bon moment, d’heureuses sorties permirent de prolonger la situation, mais la chute du dictateur n’en était pas moins prochaine. Pétrarque, dès son arrivée à Gênes, fut avisé de l’état des partis, et trouva la cause de son ami si compromise, qu’il n’alla pas plus avant sur le chemin de Rome et se dirigea du côté de Parme pour voir de là le tour que prendraient les événemens : les faits se hâtèrent ; ce qui devait arriver arriva, Rienzi fut culbuté.

Vous croiriez tout d’abord que devant une si rude catastrophe l’ami d’hier va se manifester, — point ; il se tait, philosophiquement prend son parti et compte bien que les Colonna lui pardonneront de s’être laissé enflammer d’admiration pour un homme qui semblait destiné à faire revivre l’ancienne république romaine, mais que ses instincts pervers ont égaré. Pétrarque exécute ces reviremens avec une aisance accomplie ; personne mieux que lui ne s’entend à jeter son