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délégués dans son sein, ils étaient devenus à leur tour propriétaires d’esclaves et partisans fanatiques de l’asservissement de la race noire.

L’armée américaine avait donc une double tâche à poursuivre. D’une part, elle devait maintenir l’autorité nationale en face des tribus indiennes, veiller à l’exécution des traités conclus avec elles, et leur inculquer cette conviction salutaire, que d’un bout du continent à l’autre tous les blancs prendraient au besoin les armes pour venger un seul d’entre eux, et il lui fallait pour cela recourir tantôt à la force, tantôt aux négociations, dans lesquelles l’épée lui donnait, aux yeux de ces sauvages, une grande supériorité sur des agens civils. D’autre part, elle était souvent obligée d’intervenir contre les aventuriers blancs soit pour soustraire à leurs violences les anciens possesseurs du sol, soit pour rétablir l’ordre dans une nouvelle société où fermentaient les élémens les plus opposés, soit enfin pour faire respecter l’autorité supérieure du gouvernement fédéral, facilement méconnue au milieu des querelles ardentes de ces contrées lointaines.

Aussi était-elle toujours sinon en guerre, du moins en expédition. Ayant à surveiller à la fois les Apaches et les Comanches, qui gardent du côté du Nouveau-Mexique les passes des Montagnes-Rocheuses, les Sioux sur le Haut-Missouri, les Nez-Percés et les Cœurs-d’Alêne, belliqueuses tribus des bords de l’Orégon, dispersées par conséquent sur une ligne immense, il fallait cependant qu’elle fût toujours prête à repousser une attaque imprévue ou à châtier le premier acte d’hostilité commis contre quelque nouveau seulement. Cette existence rude et aventureuse donnait aux officiers américains l’habitude du commandement, de la responsabilité et de l’initiative individuelle, ces qualités qui font les hommes de guerre. La plupart d’entre eux s’y attachaient passionnément, car la vie du désert a pour le soldat, comme pour le voyageur, un charme qui la fait regretter toujours à ceux qui en ont une fois goûté.

Le convoi, ce boulet que toute armée civilisée doit traîner à son pied, portait tout ce dont elle pouvait avoir besoin pendant la durée de l’expédition, car les faibles ressources qu’offrent les razzias parmi les Arabes pasteurs ne se trouvent même pas chez un peuple chasseur comme les Indiens. Il se composait de lourds chariots ou waggons de l’émigrant, qui portent une charge de plus de 800 kilogrammes et que traînent six mules admirablement dressées. L’attelage obéit à une seule rêne et à la voix d’un teamster ou conducteur, généralement mulâtre. Presque partout le pays est assez ouvert et le sol assez égal pour permettre le passage de ces pesantes voitures : aucun col abrupt ne marque, au milieu des massifs