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qui faisait dire à Cavour : « Nous n’avons que trop chanté, » combien de points de ressemblance ! Pétrarque avait si bien conscience de cet assentiment public et du présent et du futur que dans sa « lettre à la postérité » il nous raconte cette immense faveur dont il a joui, et qui, ajoute-t-il avec orgueil, lui a valu tant d’envieux ! N’inspire pas qui veut l’envie, et, quand cette bonne fortune nous arrive d’avoir des envieux, je conçois qu’on s’en vante ; mais ce sentiment qu’il se flatte d’exciter, lui-même ne l’éprouva-t-il donc contre personne ? Une chose certaine, c’est qu’il n’aime point Dante ; vous croiriez presque qu’il l’ignore. Cet épistolier universel, causant de tout avec tout le monde, ne trouve pas une occasion pour chanter gloire à la Divine Comédie. Dans sa volumineuse correspondance, jamais ce grand nom de Dante ne lui vient à la pensée, et, quand il le cite dans ses vers, c’est pour l’accoler à des noms tels que ceux d’un Fra Guittone d’Arezzo ou d’un Cino da Pistoïa, à ce point qu’on se demande s’il n’y aurait poiat là quelque ironie.


Guitton saluti e messer Cino il Dante !


Cependant à Rome Nicola Gabrini di Rienzi, apôtre de la liberté, tribun du peuple et libérateur de la république, avait depuis longtemps perdu la tête. Qui ne connaît l’éternel programme de tous ces aventuriers de l’histoire qu’un coup de fortune pousse au faîte ? Le vertige les saisit aussitôt, et leur affaire est réglée en trois attaques : orgie de bien-être, orgie de pouvoir, orgie de sang ! Il prit à l’instant les airs d’un monarque, afficha dans ses vêtemens, dans la tenue de sa maison, une magnificence extraordinaire ; les mets les plus recherchés, les meilleurs vins, couvraient sa table ; sa femme, jeune et belle, ne se montrait plus en public qu’au milieu d’un brillent appareil ; il lui fallait pour l’accompagner des dames du plus haut rang, de nobles damoiselles pour agiter à ses côtés les éventails à plumes. Ses parens, oubliant leur condition première, se mirent tous à singer son faste. Son oncle, un barbier, ne sortait plus qu’à cheval et entouré d’une escorte de seigneurs. — La seconde crise est celle des honneurs ; tous ces fameux privilèges d’une aristocratie qu’ils ont reçu mission d’exterminer, ils ne les abolissent que pour les rétablir à leur profit. Le notaire d’hier veut être armé chevalier ; qu’il le soit, et que la vasque de porphyre de l’empereur Constantin conservée à Saint-Jean-de-Latran serve à ses ablutions pendant la cérémonie ! Ce tribun veut avoir le triomphe à la façon des anciens Romains ; pourquoi non ? Pétrarque l’a bien eu. Bizarre amalgame pourtant, le Capitole et Saint-Jean-de-Latran, ce paganisme et ce moyen âge, vitiosa buffonia ! comme dit en son latin le